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autour d’eux, dans la place où il avoit mis pied à terre dans la cour. Turménies, voyant ce qui se passoit et s’en ennuyant, se tourne à la compagnie : « Messieurs, lui dit-il froidement, mais tout haut, faites voyager vos enfants, et dépensez-y bien de l’argent, » et tout de suite passa d’un autre côté. Cet apophtegme fit du bruit, et courut fort. Il ne s’en défendit point, et M. le Duc et M. le comte de Charolois n’en firent que rire. M. le Duc devoit y être accoutumé.

Au commencement des actions de Law, M. le Duc se vanta chez lui, devant assez de monde, et avec complaisance d’une quantité considérable qu’il en avoit eue. Chacun se taisoit, lorsque Courtcollet, impatienté : « Fi, monsieur, répondit-il, votre bisaïeul n’en a jamais eu que cinq ou six, mais qui valoient bien mieux que toutes les vôtres. » Chacun baissa les yeux, et M. le Duc se prit à rire, sans lui en savoir plus mauvais gré. Il en a quelquefois lâché de bonnes à des ministres du feu roi, et depuis la régence à M. le duc d’Orléans lui-même, qui n’en faisoit que rire aussi. Il ne vécut que peu d’années après, quoique point vieux, et fut fort regretté même pour les affaires de sa gestion. Il ne laissa point d’enfants. M. de Laval, le même de la conspiration du duc et de la duchesse du Maine, épousa sa sœur qui étoit veuve de Bayez, dont il a eu beaucoup de biens et des enfants. Les apophtegmes de Turménies n’étoient pas réservés aux princes du sang. Il ne s’en contraignoit guère pour personne et avec cela rien moins qu’impertinent ; il avoit trop d’esprit et de monde pour l’être.

Une affaire purement particulière fit alors grand bruit dans le monde. Matignon et M. de Marsan avoient épousé les deux soeurs, filles uniques et sans frères du frère aîné de Matignon : lui l’aînée, M. de Marsan la cadette, veuve alors avec des enfants de M. de Seignelay, ministre et secrétaire d’État, fils aîné de M. Colbert. Un intérêt commun les avoit étroitement unis, c’étoit l’amitié de Chamillart, dont ils avoient tiré des trésors en toute espèce d’affaires de finance.