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qu’on a vu des papes faire tuer, noyer, empoisonner des cardinaux, plutôt que leur ôter le chapeau. Les Caraffe, les Colonne et bien d’autres en sont des exemples dont l’histoire n’est point à contester ; on n’en voit point de privation du chapeau, car on ne peut pas compter pour telle les temps de schismes, et ce que les papes et les antipapes faisoient contre les cardinaux les uns des autres. Ainsi le roi d’Espagne, heurtant ainsi la partie la plus sensible et la plus essentielle de l’intérêt des papes et de la cour de Rome, se donna vainement en spectacle de lutte et d’impuissance, contre un homme de la lie du peuple, pour l’élévation duquel il avoit tout épuisé, et qu’il ne put détruire. Tout ce que ses instances purent obtenir, encore aidées de la haine personnelle du pape et de la cour de Rome contre Albéroni, fut de le réduire à errer, souvent inconnu, jusqu’à la mort du pape ; alors l’intérêt des cardinaux l’appela au conclave où il entra comme triomphant, et est depuis demeuré en splendeur, ou à Rome, ou dans les différentes légations qu’il a obtenues. Ces leçons sont grandes, elles sont fréquentes, elles sont bien importantes ; elles n’en demeureront pas moins inutiles par l’ambition des plus accrédités auprès des rois, et la faiblesse des rois à leur procurer cette pourpre si fatale aux États, aux rois et à l’Église.

Plusieurs personnes moururent à peu près en ce même temps : la comtesse de Lislebonne, qui avoit pris depuis plusieurs années le nom de princesse de Lislebonne, mourut à quatre-vingt-deux ans ; elle étoit bâtarde de Charles IV, duc de Lorraine, si connu par ses innombrables perfidies, et de la comtesse de Cantecroix, et veuve du frère cadet du duc d’Elboeuf. Il y a eu occasion de parler ici d’elle quelquefois, et de la faire assez connoître pour n’avoir plus besoin de s’y étendre ; avec beaucoup de vertu, de dignité, de toute bienséance, et non moins d’esprit et de manége, elle ne céda à aucun des Guise en cette ambition et cet esprit qui leur a été si terriblement propre, et eût été admise utilement pour