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environnent le Palais-Royal, conduisoient droit et secrètement à ses appartements. Ce du Plessis fut donc ouvrir au premier président, qui pour se mieux cacher étoit en manteau et point en robe, et l’amena à M. le duc d’Orléans qui l’attendoit seul et enfermé avec Mlle de Chausseraye. Là le premier président, qui étoit beau diseur et qui avoit fort la parole en main, fit à M. le duc d’Orléans les protestations les plus fortes de fidélité et d’attachement, à l’occasion des occurrences alors présentes, et comme l’esprit ne lui manquoit non plus que le langage, il n’oublia rien pour démêler, dans l’air froid et sérieux qu’il trouva, si M. le duc d’Orléans étoit instruit à son égard de quelque chose, sans y avoir pu réussir, tant le régent sut se contenir, se mesurer et ne lui pas laisser apercevoir la moindre chose. Il prit même plaisir à lui donner lieu de redoubler ses protestations, et à tout son bien-dire. Quand il en eut assez, il tira une lettre de sa poche, et tout à coup : « Monsieur, lui dit-il, d’un ton irrité ; tenez, lisez cela ; le connoissez-vous ? » À l’instant le premier président fondit à deux genoux, lui embrassant non pas les jambes mais les pieds, et se mit aux pardons, aux regrets, aux repentirs, et n’eut si belle peur de sa vie. M. le duc d’Orléans reprit la lettre, se dépêtra les pieds de ses bras, et sans dire un mot s’en alla dans un autre cabinet. C’étoit une lettre de sa main, par laquelle il répondoit du parlement à l’Espagne, et parloit sans ménagements et sur la chose et sur les moyens.

Éperdu et sans parole, il eut peine à se reconnoître et à se relever de ce prosternement où il était. Mlle de Chausseraye, guère moins éperdue, mais d’étonnement, lui reprocha la folle hardiesse de l’avoir commise à lui obtenir cette audience, lui se sentant aussi coupable ; toute sa réponse fut de la conjurer de le sauver et d’aller trouver M. le duc d’Orléans. Elle y alla, et le trouva seul dans la dernière indignation de l’audace, de l’effronterie de l’audience, de la scélératesse, de la tromperie et des protestations, avec une telle pièce