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pour un Espagnol ; c’étoit un fort petit homme blond comme un bassin, gros et fort pansu, avec deux petites mains appliquées sur son ventre, qui, sans s’en décoller, gesticuloient toujours, avec un parler doucereux, des yeux bleus, un sourire, un vacillement de tête qui donnoient l’accompagnement du visage à son ton et à son discours, avec beaucoup d’esprit ; il l’avoit très fin, très adroit, très insinuant, très politique, bas et haut à merveilles, suivant ce qui lui convenoit et à qui il convenoit, et avoit l’art de ne s’y point méprendre. La première fois que le duc de Berwick qui me l’a conté fut en Espagne, on le lui voulut donner pour secrétaire espagnol, et il l’auroit pris s’il eût su l’espagnol, dont il ne savoit pas un mot alors, ou si Grimaldo eût entendu tant soit peu le françois. Hors d’espérance de cette condition, il en chercha une autre, et il entra commis dans les bureaux d’Orry avant qu’Orry fût devenu homme principal en Espagne. Il goûta Grimaldo par son esprit et sa douceur, plus encore parce qu’il le trouva net et infatigable au travail, fécond en ressources, et ne se rebutant jamais de rien. Ces qualités le portèrent à la tête d’un des bureaux de son maître, et ce bureau crût en commis sous lui et en affaires à mesure qu’Orry crût en autorité et en puissance. Orry le fit goûter et connoître à la princesse des Ursins, et par eux du roi et de la reine. Approché d’eux, et peu à peu admis à travailler avec eux au lieu d’Orry, quand celui-ci n’en avoit pas le temps ou ne vouloit pas le prendre. De là il parvint à être secrétaire d’État avec le département de la guerre, où il n’avoit rien à faire qu’à recevoir et à exécuter les ordres d’Orry et de Mme des Ursins, auxquels il faut dire à son honneur qu’il demeura fidèle à tous les deux après leur chute, et à leurs amis et créatures tant qu’il a vécu. Dans une telle dépendance, on peut juger qu’il fut un des premiers dont Albéroni se défit, et qu’il ne le laissa pas approcher tant qu’il fut le maître. Dans cette espèce d’exil, Grimaldo, toujours titulaire de son emploi, mais dont il