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chez moi me remercier avec la plus grande effusion de cœur. Je l’assurai que j’étois tellement payé d’avance par tout ce que j’avois reçu de son père, que je ne méritois nul remercîment, mais d’être félicité d’avoir eu occasion de témoigner à sa mémoire le plus tendre et le plus vif attachement, et de la tirer elle-même de la peine de voir passer sa charge en d’autres mains. Je n’ajouterai point ce qu’elle me dit sur l’occasion si aisée de la prendre pour moi, ni ce que ses tantes m’en témoignèrent, car sa belle-mère étoit sa tante aussi. Nous nous embrassâmes de bon cœur, qui fut la fin de la visite et la dernière fois que je la vis ; elle mourut bientôt après, sans que son mari sentit une si grande perte.

J’achèverai tout de suite, pour n’avoir plus à y revenir. La sombre folie du duc de Mortemart m’inquiétoit toujours pour sa charge. On ne pouvoit se flatter qu’elle ne lui causât encore des querelles aussi mal fondées que les dernières ; qu’elles ne lui tournassent la tête comme elles avoient déjà fait, et que M. le duc d’Orléans, excédé de lui, ne pût être arrêté, pour s’en défaire, à la difficulté que j’y avois éprouvée. Cela me revint si souvent dans l’esprit, qu’au bout de deux mois je pris ma résolution, sans en parler à personne, de demander à M. le duc d’Orléans la survivance de sa charge pour son fils qui n’avoit pas sept ans. Par là je ne craignois plus les frasques du père. Il ne pouvoit plus la vendre, et s’il s’avisoit encore une fois de se piquer et d’envoyer sa démission, il n’y avoit plus à courir après, son fils devenoit le titulaire. Je pris donc cette résolution, et je l’exécutai si bien que j’emportai la survivance. Comblé de joie d’avoir mis en sûreté le petit-fils du duc de Beauvilliers pour sa charge, j’allai, au sortir du Palais-Royal, l’apprendre aux duchesses de Beauvilliers, de Mortemart et de Chevreuse, chacune chez elle, dont la surprise, la joie et les expressions ne se peuvent rendre. Je dis aux deux premières qu’il étoit très essentiel de bien constater la chose par leur remercîment public. Dès le lendemain, quoiqu’elles n’allassent plus en aucun