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eut été donné au cardinal de La Trémoille, M. de Noirmoutiers, dont la maison joignoit la mienne, qui, comme moi, avoit une porte dans le jardin des Jacobins de la rue Saint-Dominique, m’envoya prier de vouloir bien lui donner un moment chez moi, et, par l’état où il étoit, de lui marquer un temps où, s’il se pouvoit, il n’y auroit personne. Quoiqu’il vît beaucoup de monde chez lui, mais choisi, il n’aimoit pas à sortir, ni à se montrer à personne. C’étoit presque au sortir de dîner ; je demandai à son valet de chambre s’il avoit du monde chez lui et ce qu’il faisoit. Il me dit qu’il étoit seul avec la duchesse de Noirmoutiers. C’étoit une femme d’esprit, de sens et de mérite, en qui il avoit toute confiance, et qui suppléoit en tout à son aveuglement. Je dis au valet de chambre que je ne voulois pas donner la peine à M. de Noirmoutiers de venir chez moi, qu’il me fît ouvrir sa porte sur le jardin des Jacobins, et je m’y en allois par la mienne.

M. de Noirmoutiers fut d’autant plus sensible à cette honnêteté que je ne le connoissois en façon du monde, et ne lui avois jamais parlé ni été chez lui. Après les premiers compliments il m’en fit un sur la confiance que lui donnoit ma réputation, sans me connoître, de s’ouvrir à moi de la chose du monde qui le peinoit et l’embarrassoit le plus, lui et le cardinal de La Trémoille, et qu’après avoir bien pensé, cherché et réfléchi, il n’avoit trouvé que moi à qui il pût avoir recours. Si ce début me surprit, la suite m’étonna bien davantage. Il commença par me prier de lui parler sans déguisement, et de ne rien donner à la politesse et aux mesures dans ma réponse à la question qu’il m’alloit faire, et tout de suite me pria de lui dire sans détour comment son frère étoit dans l’esprit de M. le duc d’Orléans, et s’il étoit ou n’étoit pas content de lui. Je lui répondis que, pour le faire aussi correctement qu’il le désiroit, il y avoit du temps que rien ne s’étoit présenté entre M. le duc d’Orléans et moi, où il fût question de lui, mais qu’il m’en avoit toujours