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duré presque jusqu’à la fin de sa vie, c’est-à-dire plusieurs années, qu’il me demanda de souffrir son gendre chez lui. On a pu voir (t. IX, p. 56), l’autre trait qu’il me fit dans le salon de Marly, sur notre requête contre d’Antin. Je ne le voyois donc en aucune occasion, quoique ami intime de toute sa famille, même de sa mère. Il s’étoit déjà pris une fois de bec avec le maréchal de Villeroy sur les fonctions de leurs charges. On a vu (t. XV, p. 133), que le service en manqua plusieurs jours, et qu’il voulut donner la démission de sa charge. Cette disparate avoit éloigné de lui M. le duc d’Orléans. Un peu après l’affaire du chevalier de Rancé, il s’éleva une autre dispute entre le duc de Mortemart et le maréchal de Villeroy, où le premier poussa les choses d’autant plus loin qu’il avoit plus de tort, et le maréchal demeura d’autant plus sage qu’il se sentoit toute la raison de son côté. L’affaire portée au régent, il décida en faveur du maréchal, et blâma d’autant plus l’autre, qu’il l’avoit indisposé par sa première dispute, par sa première démission et par d’autres disputes moins importantes, mais fréquentes, pour des vétilles, avec les uns et les autres. Mortemart, piqué d’avoir succombé après l’éclat qu’il avoit fait, peut-être autant d’avoir été tancé plus que M. le régent n’avoit accoutumé de faire, n’en fit pas à deux fois et lui envoya la démission de sa charge de premier gentilhomme de la chambre, avec une lettre fort peu ménagée.

Heureusement c’étoit un jour que je travaillois avec M. le duc d’Orléans, et que j’arrivai comme il venoit de la lire. Je trouvai ce prince en furie, qui d’abordée me conta la chose, et conclut que, pour cette fois, Mortemart seroit pris au mot, et lui délivré de toutes ses impertinences ; tout de suite, en me regardant, il me fit entendre que j’étois venu tout à propos. L’horreur que je sentis de la dépouille de M. de Beauvilliers, et de m’en revêtir aux dépens de ses petits-fils, m’inspira la plus nerveuse éloquence. Je représentai au régent que ce n’étoit pas M. de Mortemart qu’il devoit regarder,