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proposoit celui qui devoit être préféré, ne manquoit jamais d’ajouter qu’il lui disoit son avis comme il y étoit obligé, mais que ce n’étoit pas à lui à donner, que le roi étoit le maître, et qu’il n’avoit qu’à choisir et à décider. Quelquefois même il l’en pressoit quand le choix étoit peu important ; et si rarement le roi lui paraissoit pencher pour quelqu’un, car il étoit trop glorieux et trop timide pour s’en bien expliquer, et M. le duc d’Orléans y avoit toujours grande attention, il lui disoit avec grâce qu’il se doutoit de son goût, et tout de suite : « Mais n’êtes-vous pas le maître ? Je ne suis ici que pour vous rendre compte, vous proposer, recevoir vos ordres et les exécuter. » Et à l’instant la chose étoit légèrement donnée sans la faire valoir le moins du monde, et [il] passoit aussitôt à autre chose. Cette conduite en public et en particulier, surtout cette manière de travailler avec le roi, charmoit le petit monarque ; il se croyoit un homme, il comptoit régner et en sentoit tout le gré à celui qui le faisoit ainsi régner.

Le régent ni les particuliers n’y couroient pas grand risque ; le roi se soucioit peu et rarement, et comme il a été remarqué, étoit trop glorieux et trop timide pour le montrer souvent, beaucoup moins pour rien demander. M. le duc d’Orléans étoit encore fort attentif à bien traiter tout ce qui environnoit le roi de près, avec familiarité, pour s’en faire un groupe bienveillant, et à chercher à faire des grâces à ceux pour qui on pouvoit croire que le roi avoit quelque affection. Cela servoit encore merveilleusement à M. le duc d’Orléans, dans des occasions de grâces et de places peu importantes, sur lesquelles le roi auroit montré un goût d’enfant. Comme il étoit prévenu par l’expérience, de la façon dont M. le duc d’Orléans en usait toujours là-dessus avec lui, cela donnoit à ce prince la liberté et la facilité de lui représenter l’importance du poste et les qualités nécessaires pour le remplir, d’insister, mais en lui disant toujours qu’il étoit le maître, qu’il n’avoit qu’à prononcer ; qu’il le supplioit