Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/361

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On ne peut s’empêcher de s’arrêter ici une dernière fois sur Albéroni et sur l’aveuglement de souffrir des ecclésiastiques dans les affaires, surtout des cardinaux, dont le privilège le plus spécial est l’impunité de tout ce qui est de plus infamant et de plus criminel en tout genre. Ingratitude, infidélité, révolte, félonie, indépendance, sans qu’il en soit rien, pas même le plus souvent dans la conduite de personne à l’égard de ces éminents coupables, même assez peu perceptiblement dans l’opinion commune qui s’y est accoutumée par les exemples de tous les temps. Il falloit qu’Albéroni eût la tête bien étrangement tournée par la rage et le désespoir, pour faire cette plainte si fort inutile sur Séville. Il avoit voulu soulever l’Europe entière contre l’empereur pour lui arracher l’Italie, sans s’être jamais rendu à aucune sorte de composition pour l’Espagne, ni de raison ; devoit-il s’étonner que l’empereur, qui le regardoit comme son ennemi personnel, s’opposât à ce qui augmentoit son pouvoir et sa grandeur ? Il avoit traité vingt fois le pape avec la dernière indignité ; était-il surprenant qu’il ne le trouvât pas favorable pour les bulles de Séville ? Que ne devoit-il pas à Leurs Majestés Catholiques, de quelle poussière ne l’avoient-ils pas tiré, à quel degré de puissance et de grandeur ne l’avoient-ils pas élevé, et à quoi et combien de fois ne s’étoient-ils pas commis avec la plus extrême persévérance pour lui obtenir le chapeau ? Et il en parle avec le dernier mépris, et s’offre à faire servir à leur ruine la connoissance intime que leur aveugle bonté lui a donnée de toutes leurs affaires, en le faisant régner absolument et si longtemps en Espagne. À qui fait-il des offres si abominables ? À un prince qu’il a forcé à devenir leur ennemi, dont lui-même a fait tout ce qui a été en lui pour renverser la régence par les plus indignes pratiques, et qu’il ne peut douter qu’il n’ait contribué à sa chute, à tout le moins qu’il ne la regarde comme un des plus grands bonheurs qui pussent lui arriver. Voilà donc tout à la fois le comble du crime et