Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/360

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en toutes ses manières, très réservé en ses paroles, avoir l’air de ne prendre garde à rien, à s’accommoder de tout singulièrement, sans questions, sans prétentions, sans plaintes, dissimulant tout, et montrant, sans s’en lasser, de prendre Marcieu comme un accompagnement d’honneur. Il ne reçut donc aucune civilité de la part du régent, de Dubois, ni de personne, et fit, sans s’arrêter, avec presque nulle suite, les journées marquées par Marcieu, jusqu’au bord de la Méditerranée, où il s’embarqua en arrivant, et passa à la côte de Gênes. Ce fut dans ce voyage où Marcieu apprit de lui l’anecdote si curieuse touchant la disgrâce de la princesse des Ursins, convenue entre les deux rois, dont la nouvelle reine d’Espagne fut chargée pour la manière de l’exécution, qui a été ici racontée au temps de cette disgrâce, et que je sus du marquis, depuis maréchal de Brancas, à qui Marcieu l’avoit depuis racontée. Albéroni, délivré de son Argus et arrivé en Italie, s’y trouva aussitôt en d’autres embarras par la colère de l’empereur, qui ne l’y voulut souffrir nulle part, et par l’indignation de la cour de Rome, qui se trouva l’emporter, en cette occasion, sur sa jalousie du respect de sa pourpre. Il fut réduit à se tenir longtemps errant et caché, et il ne put approcher de Rome que par la mort du pape. Le surplus de la vie de cet homme si extraordinaire n’est plus matière de ces Mémoires. Mais ce qui n’y doit pas être oublié est la dernière marque de rage, de désespoir et de folie, qu’il donna en traversant la France. Il écrivit de Montpellier, à M. le duc d’Orléans, des offres de lui donner les moyens de faire la plus dangereuse guerre à l’Espagne ; et de Marseille, prêt à s’embarquer, il lui écrivit de nouveau pour lui réitérer et le presser sur les mêmes offres. Il garda peu de décence sur le roi et la reine d’Espagne, et ne put s’empêcher d’ajouter que le pape, l’empereur et Leurs Majestés Catholiques rendroient compte à Dieu de l’avoir empêché d’avoir les bulles de l’archevêché de Séville.