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Madrid ; il n’omit rien par le duc de Parme et par tous les autres moyens qu’il put imaginer pour les empêcher d’y venir ; il regarda sans cesse avec tremblement le peu de ceux dont il n’avoit pu rompre le voyage ni procurer le renvoi.

Parmi ceux-ci, il ne craignit rien tant que la nourrice de la reine, à laquelle, parmi ses ménagements, il lâchoit quelquefois des coups de caveçon pour la contenir, où le raisonnement politique avoit peut-être moins de part que l’humeur. Cette nourrice qui étoit une grosse paysanne du pays de Parme, s’appeloit Dona Laura Piscatori ; elle n’étoit venue en Espagne que quelques années après la reine qui l’avoit toujours aimée, et qui la fit peu après son assafeta, c’est-à-dire sa première femme de chambre, mais qui en Espagne est tout autrement considérable qu’ici. Laura avoit amené son mari, paysan de tous points, que personne ne voyoit et ne connoissoit ; mais Laura avoit de l’esprit, de la ruse, du tour, des vues à travers la grossièreté extérieure de ses manières, qu’elle avoit conservées ou par habitude, peut-être aussi par politique pour se faire moins soupçonner, et comme les personnes de cette extraction, parfaitement intéressée. Elle n’ignoroit pas combien impatiemment Albéroni souffroit sa présence et craignoit sa faveur auprès de la reine, qu’il vouloit posséder seul ; et plus sensible aux coups de patte qu’elle recevoit de lui de temps en temps qu’à ses ménagements ordinaires, elle ne le regardoit que comme un ennemi très redoutable, qui la retenoit dans d’étroites bornes, qui l’empêchoit de profiter de sa faveur en contenant là-dessus la reine elle-même, et duquel le dessein étoit de la faire renvoyer à Parme, et de n’oublier rien pour y réussir. Voilà tout ce que j’ai pu apprendre sans autre détail, sinon que voyant la conjoncture favorable, par ce qui vient d’être représenté de la situation des affaires d’Espagne, où la tyrannie d’Albéroni étoit généralement abhorrée, elle fut aisément gagnée par l’argent du régent, et l’intrigue de