Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/355

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toutes les volontés et tout le pouvoir, il brava successivement toutes les puissances de l’Europe, et ne se proposa rien moins que de les tromper toutes, puis de les dominer, de les faire servir à tout ce qu’il imagina, et se voyant enfin à bout de toutes ses ruses, à exécuter seul et sans alliés le plan qu’il s’étoit formé. Ce plan n’étoit rien moins que d’enlever à l’empereur tout ce que la paix d’Utrecht lui avoit laissé en Italie, de ce que la maison d’Autriche espagnole y avoit possédé, d’y dominer le pape, le roi de Sicile, auquel il vouloit ôter cette île comme arrachée à l’Espagne par la même paix, dépouiller l’empereur du secours de la France et de l’Angleterre en soulevant la première contre le régent par les menées de l’ambassadeur Cellamare et du duc du Maine, et jetant le roi Jacques en Angleterre par le secours du Nord, occuper le roi Georges par une guerre civile ; enfin de profiter pour soi de ces désordres pour transporter sûrement en Italie, que son cardinalat lui faisoit regarder comme un asile assuré contre tous les revers, l’argent immense qu’il avoit pillé et ramassé en Espagne, sous prétexte d’y faire passer les sommes nécessaires au roi d’Espagne pour y soutenir la guerre et les conquêtes qu’il y feroit, et cet objet d’Albéroni étoit peut-être le moteur en lui de ses vastes projets. Leur folie ne put être comprise ; ce ne fut qu’avec le temps qu’on découvrit enfin avec le plus grand étonnement que son obstination dans son plan, et à rejeter toutes les propositions les plus raisonnables n’avoit point d’autre fondement que sa folie, ni d’autres ressources que les seules forces de l’Espagne contre celles de l’empereur, de la France, de l’Angleterre et de la Hollande, que cette dernière couronne entraîna après soi. Pour comble d’extravagance, la découverte de la conspiration brassée en France, et le bon ordre qui y fut mis aussitôt, ni les contretemps arrivés dans le Nord, qui ne laissèrent plus d’espérance à Albéroni d’occuper ces deux couronnes chez elles assez puissamment pour leur faire quitter prise au dehors, ne le purent déprendre de pousser la