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qu’il avoit senti tout d’abord que ces mêmes emportements étoient le ton et le langage indispensable d’un ministre en tel cas ; qu’il n’en avoit donc rien du tout sur le cœur, ni pour soi ni pour Mailly, et tout de suite ajouta qu’il avoit encore soupçonné que ce grand appareil d’éclat, qui étoit bon pour le monde, pouvoit n’être pas inutile au désir qu’il ne croyoit pas impossible qu’eut Dubois de servir Mailly auprès du régent par des réflexions qu’il lui feroit naître, et d’autant moins suspectes que la colère de lui Dubois n’avoit pas été moindre, et avoit encore paru avec beaucoup moins de mesures que celle du régent. À cette ouverture, Dubois, transporté de croire avoir trompé qui le trompoit en effet, embrasse l’abbé de La Fare, avoue qu’il l’a deviné, s’écrie qu’un génie supérieur tel que le sien mériteroit le ministère, l’accable de louanges et de protestations pour Mailly, et, plein de ses désirs qu’il ne peut cacher, lui montre à découvert tout ce qu’il attend à Rome de la reconnoissance de Mailly, et le plus profond secret en l’une et l’autre cour. La Fare, ravi de tenir l’abbé Dubois pris dans le filet qu’il lui avoit tendu, lui promet tout, exagère le crédit de Mailly à Rome, ce que Dubois peut tirer de sa reconnoissance, mais en même temps demande tout. Bref ils ne se quittèrent point sans paroles réciproques, dont le gage fut de la part de La Fare des propos en l’air qui ne coûtoient rien, tandis que Dubois lui dit de mander à Mailly de venir secrètement sans en avertir aucun des siens, de se tenir caché dans sa maison sans y voir que trois ou quatre personnes au plus de ses plus proches ou de ses plus intimes, et qu’il se chargeoit lui Dubois de le renvoyer bientôt à peu près content, et en chemin de l’être dans peu tout à fait, parce que cette affaire ne se pouvoit conduire à bien que par degrés. Ce mystère demeura religieusement renfermé entre l’abbé Dubois, l’abbé de La Fare et Mailly, archevêque de Reims, qui laissa pleinement croire à La Vrillière, à moi, qui le vîmes tous les jours, et au peu de ce qui le vit, qu’il étoit venu à l’aventure et au