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me répondit que non, mais seulement pour qu’il en sût assez pour ne l’ignorer pas entièrement ; et nous convînmes aisément que l’histoire, surtout celle de France générale et particulière, étoit [ce] à quoi il le falloit appliquer le plus. Là-dessus il me vint une pensée que je lui dis tout de suite pour apprendre au roi mille choses particulières et très instructives pour lui dans tous les temps de sa vie, et en se divertissant, qui ne pouvoient guère lui être montrées autrement.

Je lui dis que Gaignières, savant et judicieux curieux, avoit passé sa vie en toutes sortes de recherches historiques, et qu’avec beaucoup de soins, de frais et de voyages qu’il avoit fait exprès, il avoit ramassé un très grand nombre de portraits, de ce qui en tout genre et en hommes et en femmes, avoit figuré en France, surtout à la cour, dans les affaires et dans les armées, depuis Louis XI ; et de même, mais en beaucoup moindre quantité dés pays étrangers, que j’avois souvent vus chez lui en partie, parce qu’il y en avoit tant qu’il n’avoit pas pu les placer, quoique dans une maison fort vaste où il logeoit seul vis-à-vis des Incurables ; que Gaignières en mourant avoit donné au roi tout ce curieux amas [1]. Le cabinet du roi aux Tuileries avoit une porte qui entroit dans une belle et fort longue galerie, mais toute nue. On avoit muré cette porte, on avoit fait quelques retranchements de simples planches dans cette galerie, et on y avoit mis les valets du maréchal de Villeroy. Je proposai donc à M. de Fréjus de leur faire louer des chambres dans le voisinage, à quoi mille francs auroient été bien loin, d’ouvrir la porte de communication du roi, et de tapisser toute cette galerie de ces portraits de Gaignières, qui pourrissoient peut-être dans quelque garde-meuble ; de dire aux précepteurs des petits garçons qui venoient faire leur cour au roi,

  1. La Bibliothèque impériale possède encore aujourd’hui une partie des portraits et des manuscrits rassemblés par Gaignières. On y trouve beaucoup de renseignements curieux sur les anciennes institutions de la France.