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où ses débauches l’avoient fait tomber, et d’autres aventures fort étranges, ni sa gueuserie n’épouvantèrent point l’aventurière anglaise. Le mariage se fit au grand déplaisir des Bouillon. Elle mena toujours depuis son mari par le nez, et acquit avec lui des richesses immenses par ce même Mississipi. Il est pourtant mort avec peu de bien, parce qu’il avoit été soulagé de presque tout son portefeuille que sa femme avoit eu l’adresse de lui faire prêter, et qu’elle a été fort accusée d’avoir mis de côté. Quoi qu’il en soit, il a été perdu pour le mari et pour les siens, sans moyens contre la femme qui en demeura brouillée avec tous les Bouillon et qui n’a point eu d’enfants qui aient vécu. Elle chercha, avant et depuis la mort de son mari, à faire un personnage, mais la défiance la fit rejeter partout. Elle se retrancha donc sur la dévotion, la philosophie, la chimie qui la tua à la fin, au bel esprit surtout, dans un très petit cercle de ce qu’elle put à faute de mieux. Avec tout ce florissant Mississipi, il y eut des avis qu’on vouloit tuer Law, sur quoi on mit seize Suisses du régiment des gardes chez lui, et huit chez son frère qui étoit depuis quelque temps à Paris.

J’ai différé à ce temps, où Pezé [1] eut enfin le régiment du roi infanterie, à parler plus à fond de lui et de Nangis qui le lui vendit, parce que tous deux ont fait en leur temps une fortune singulière. Celui-ci, porté haut sur les ailes de l’amour et de l’intrigue, déchut toujours ; celui-là avec peu de secours, mais par de grands talents, monta toujours, et par eux touchoit à la plus haute et à la plus flatteuse fortune, lorsque, arrêté au milieu de sa course, il mourut au lit d’honneur environné de gloire et d’honneurs qui, lui promettant les plus élevés et les plus distingués, lui laissèrent en même temps voir la vanité des fortunes et le néant de ce monde.

Nangis, avec une aimable figure dans sa jeunesse, le jargon

  1. Ce nom s’écrit ordinairement Pezay.