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récompenser les siens, et par ces exemples éclatants en éblouir d’autres et se les acquérir), que je ne puis me refuser de m’y étendre.

Cet abbé Tencin étoit prêtre et gueux, arrière-petit-fils d’un orfèvre, fils et frère de présidents au parlement de Grenoble. Guérin étoit son nom et Tencin celui d’une petite terre qui servoit à toute la famille. Il avoit deux sœurs l’une qui a passé sa vie à Paris dans les meilleures compagnies, femme d’un Ferriol assez ignoré, frère de Ferriol qui a été ambassadeur à Constantinople, qui n’a point été marié ; l’autre sœur religieuse professe pendant bien des années dans les Augustines de Montfleury aux environs de Grenoble, toutes deux belles et fort aimables ; Mme Ferriol avec plus de douceur et de galanterie, l’autre avec infiniment plus d’esprit, d’intrigue et de débauche. Elle attira bientôt la meilleure compagnie de Grenoble à son couvent, dont la facilité de l’entrée et de la conduite ne put jamais être réprimée par tous les soins du cardinal Le Camus. Rien n’y contribuoit davantage que l’agrément et la commodité de trouver au bout de la plus belle promenade d’autour de Grenoble un lieu de soi-même charmant, où toutes les meilleures familles de la ville avoient des religieuses. Tant de commodités, dont Mme Tencin abusa largement, ne firent que lui appesantir le peu de chaînes qu’elle portoit. On la venoit trouver avec tout le succès qu’on eût pu désirer ailleurs. Mais un habit de religieuse, une ombre de régularité quoique peu contrainte, une clôture bien qu’accessible à toutes les visites des deux sexes, mais d’où elle ne pouvoit sortir que de temps en temps, étoit une gêne insupportable à qui vouloit nager en grande eau, et qui se sentoit des talents pour faire un personnage par l’intrigue. Quelques raisons pressantes de dérober la suite de ses plaisirs à une communauté qui ne peut s’empêcher de se montrer scandalisée des éclats du désordre et d’agir en conséquence, hâtèrent la Tencin de sortir de son couvent