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courant. Il fit aussi une grande augmentation de troupes pour environ sept à huit millions.

Peu de jours après, il fit un marché qui scandalisa étrangement, après tout ce qui s’étoit passé à Turin de La Feuillade à lui, et les exécrables propos que ce dernier s’étoit piqué de tenir à tous venants sur la mort de M. le Dauphin et de Mme la Dauphine. Ils furent tels et si publics et si connus, que j’eus toutes les peines du monde à empêcher M. le duc d’Orléans de lui faire donner des coups de bâton, lui, si insensible à tout ce qui s’est fait et dit contre lui, comme on le voit en tant d’endroits de ces Mémoires. Mais Canillac, ami intime de La Feuillade de tout temps, voulut faire éclater son crédit et la puissance de sa protection aux dépens de M. le duc d’Orléans même, raccommoder avec lui un homme si gratuitement et si démesurément coupable envers lui, et lui ouvrir un large robinet d’argent. Il persuada donc à M. le duc d’Orléans, qui ne songeoit à rien moins, d’acheter de La Feuillade, pour M. le duc de Chartres, le gouvernement de Dauphiné cinq cent cinquante mille livres comptant, trois cent mille livres en outre pour le brevet de retenue que La Feuillade avoit, et de plus les appointements d’ambassadeur à Rome depuis le jour que le même Canillac l’avoit fait nommer, en obtenant son pardon jusqu’à son départ. Ce fut donc près d’un million pour un gouvernement de soixante mille livres de rente, et dix ans d’appointements d’ambassadeur à Rome où il n’alla jamais. On verra, dans la suite, la rare reconnoissance de ce galant homme, le plus corrompu et le plus méprisable que j’aie jamais connu. Clermont qui, comme on l’a dit, avoit les Suisses de M. le duc d’Orléans, fut aussi capitaine des gardes de M. le duc de Chartres, comme gouverneur de Dauphiné : il n’avoit rien et grand besoin de subsistance.

L’audience ordinaire du roi à la députation des états de Languedoc donna lieu à une étrange dispute à qui les présenteroit, par l’absence du duc du Maine et du prince de