Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/232

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Dans cette extrémité où les médecins ne savent plus que faire et où on a recours à tout, on parla de l’élixir d’un nommé Garus, qui faisoit alors beaucoup de bruit, et dont le roi a depuis acheté le secret. Garus fut donc mandé et arriva bientôt après. Il trouva Mme la duchesse de Berry si mal qu’il ne voulut répondre de rien. Le remède fut donné et réussit au delà de toute espérance. Il ne s’agissoit plus que de continuer. Sur toutes choses, Garus avoit demandé que rien sans exception ne fût donné à Mme la duchesse de Berry que par lui, et cela même avoit été très expressément commandé par M. [le duc] et par Mme la duchesse d’Orléans. Mme la duchesse de Berry continua d’être de plus en plus soulagée, et si revenue à elle-même que Chirac craignit d’en avoir l’affront. Il prit son temps que Garus dormoit sur un sofa, et avec son impétuosité présenta un purgatif à Mme la duchesse de Berry, qu’il lui fit avaler sans en dire mot à personne et sans que deux garde-malades, qu’on avoit prises pour la servir, et qui seules étoient présentes, osassent branler devant lui. L’audace fut aussi complète que la scélératesse, car M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans étoient dans le salon de la Muette. De ce moment à celui de retomber pis que l’état d’où l’élixir l’avoit tirée, il n’y eut presque pas d’intervalle. Garus fut réveillé et appelé. Voyant ce désordre, il s’écria qu’on avoit donné un purgatif qui, quel qu’il fût, étoit un poison dans l’état de la princesse. Il voulut s’en aller, on le retint, on le mena à M. [le duc] et à Mme la duchesse d’Orléans. Grand vacarme devant eux, cris de Garus, impudence de Chirac et hardiesse sans égale à soutenir ce qu’il avoit fait. Il ne pouvoit le nier, parce que les deux gardes avoient été interrogées et l’avoient dit. Mme la duchesse de Berry, pendant ce débat, tendoit à sa fin sans que Chirac ni Garus eussent de ressource. Elle dura cependant le reste de la journée et ne mourut que sur le minuit. Chirac, voyant avancer l’agonie, traversa la chambre, et faisant une révérence d’insulte au