Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/210

Cette page n’a pas encore été corrigée

remarquoit la rareté des visites qu’il lui faisoit, l’engagèrent à lui donner un souper sur la terrasse de Meudon, sur les sept heures du soir. En vain on lui représenta le danger du serein et du frais du soir sitôt après l’état où elle avoit été et dans l’état chancelant où sa santé se trouvoit encore. Ce fut pour cela même qu’elle s’y opiniâtra dans la pensée qu’un souper sur la terrasse, sitôt après l’extrémité où elle avoit été, ôteroit à tout le monde la persuasion de sa couche et feroit croire qu’elle étoit toujours avec M. le duc d’Orléans comme elle y avoit été, nonobstant la rareté inusitée de ses visites, qui avoit été remarquée. Ce souper en plein air ne lui réussit pas. Dès la nuit même elle se trouva mal. Elle fut attaquée d’accidents causés par l’état où elle étoit encore et par une fièvre irrégulière, que la contradiction qu’elle trouvoit à la déclaration de son mariage ne contribuoit pas à diminuer. Elle se dégoûta de Meudon comme les malades de corps et d’esprit, qui, dans leur chagrin, se prennent à l’air et aux lieux.

Elle étoit embarrassée de ce que les visites de M. le duc d’Orléans ne se rapprochoient point, et de ce que Madame et Mme la duchesse d’Orléans n’alloient presque point la voir, quoique considérablement malade. Son orgueil en souffroit plus que sa tendresse, qui étoit nulle pour ces princesses, et qui commençoit à se tourner en haine par leur résistance à ses plus ardents désirs. La même raison commençoit à lui faire prendre les mêmes sentiments pour M. son père ; mais elle espéroit le ramener à ses volontés par l’empire qu’elle avoit sur lui, et elle étoit de plus peinée que le monde s’aperçût de la rareté de ses visites et ne diminuât la considération qu’elle tiroit du pouvoir si connu qu’elle avoit sur lui, quand il paroîtroit qu’il n’étoit plus le même. Quelque contraire que lui fût l’air, le mouvement, le changement de lieu dans l’état où elle se trouvoit, rien ne put l’empêcher de se faire transporter de Meudon à la Muette, couchée entre deux draps, dans un grand carrosse, le dimanche 14 mai,