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sorte de douceur et de patience, et, quoi qu’elle pût dire ou faire, ne l’en traiter que mieux. Je lui inculquai bien cela dans la tête, et, après m’être un peu vengé à lui reprocher l’abus qu’il venoit de faire de moi, je le laissai dans l’attente de cette importune arrivée, et m’en allai me reposer, excédé et poussé à bout, après une telle huitaine, d’une dernière journée si complète en fatigue de corps et d’esprit, et j’entrai chez moi qu’il étoit presque nuit.

Je sus après que Mme la duchesse d’Orléans étoit arrivée au Palais-Royal une demi-heure après que j’en fus sorti. Ses frères l’attendoient dans son appartement. Dès qu’elle les aperçut, elle leur demanda s’ils avoient la permission de la voir, et, les yeux secs, leur déclara qu’elle ne les verroit jamais si M. le duc d’Orléans le désiroit. Ensuite ils s’enfermèrent une heure ensemble. Dès qu’ils furent sortis, M. le duc d’Orléans y descendit avec Mme la duchesse de Berry, qui étoit restée pour le soutenir dans cet assaut. Jamais tant de force ni de raison. Elle dit à M. le duc d’Orléans qu’elle sentoit trop l’extrême honneur qu’il lui avoit fait en l’épousant, pour que tout autre sentiment ne cédât pas à celui-là. C’étoit la première fois depuis trente ans qu’elle lui parloit de la sorte. Puis s’attendrissant, elle lui demanda pardon de pleurer le malheur de son frère, qu’elle croyoit très coupable, et qu’elle désiroit tel puisqu’il l’avoit jugé digne d’un si grand châtiment. Là-dessus pleurs, sanglots, cris de la femme, de la fille, du mari même, qui se surpassèrent en cette occasion. Cette triste scène dura une heure. Ensuite Mme la duchesse d’Orléans se mit au lit, et M, le duc d’Orléans et Mme la duchesse [de Berry] remontèrent le degré. Le soulagement alors fut grand de toutes parts.

Le lendemain et le jour suivant se passèrent en douceur, après lesquels Mme la duchesse d’Orléans, succombant aux efforts qu’elle s’étoit faits, commença d’aller au but qu’elle s’étoit proposé, de savoir les crimes de son frère, puis de tâcher de lui ménager une audience de son mari, espérant