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de délai en faisant partir Rion, se flattant que cette déclaration se différeroit plus aisément en absence qu’en présence. J’approuvai fort cette pensée, et dès le lendemain Rion reçut à Meudon un ordre sec et positif de partir sur-le-champ pour joindre son régiment dans l’armée du duc de Berwick. Mme la duchesse de Berry en fut d’autant plus outrée qu’elle en sentit la raison et par conséquent son impuissance de retarder le départ, à quoi Rion, de son côté, n’osa se commettre. Il obéit donc ; et M. le duc d’Orléans, qui n’avoit pas encore été à Meudon, fut plusieurs jours sans y aller.

Ils se craignoient l’un l’autre, et ce départ n’avoit pas mis d’onction entre eux. Elle lui avoit dit et répété qu’elle étoit veuve, riche, maîtresse de ses actions, indépendante de lui, répétoit ce qu’elle avoit ouï dire des propos de Mademoiselle quand elle voulut épouser M. de Lauzun, grand-oncle de Rion ; y ajoutoit les biens, les honneurs, les grandeurs qu’elle prétendoit pour Rion dès que leur mariage seroit déclaré, et se mettoit en furie jusqu’à maltraiter fortement de paroles M. le duc d’Orléans, dont elle ne pouvoit supporter les raisons ni les oppositions. Il avoit essuyé de ces scènes à Luxembourg dès qu’elle fut mieux, et il n’en essuya pas de moins fortes à Meudon dans le peu de visites qu’il lui fit. Elle y vouloit déclarer son mariage, et tout l’esprit, l’art, la douceur, la colère, les menaces, les prières et les instances les plus vives de M. le duc d’Orléans ne purent qu’à grand’peine pousser en délais le temps avec l’épaule. Si on en avoit cru Madame, l’affaire auroit été finie avant le voyage de Meudon, car M. le duc d’Orléans auroit fait jeter Rion par les fenêtres de Luxembourg.

Le voyage si prématuré de Meudon et des scènes si vives n’étoient pas pour rétablir une santé si nouvellement revenue des portes de la mort. Le désir extrême qu’elle eut de cacher son état au public et de soustraire à sa connoissance la situation où elle se trouvoit avec M. son père, dont on