Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/206

Cette page n’a pas encore été corrigée

auprès du roi dès son enfance, et quand il commença à avoir quelques livres il en fut chargé. Cela lui donna du rapport avec Vittement et les lia bientôt d’amitié et de confiance. Bidault venoit chez moi quelquefois et voyoit Vittement dans sa retraite. Effrayé des premiers rayons de la toute-puissance de Fréjus, devenu tout nouvellement cardinal, il en parla à Vittement qui, sans surprise aucune, le laissa dire. Bidault, étonné du froid tranquille et silencieux dont il étoit écouté, pressa Vittement de lui en dire la cause. « Sa toute puissance, répondit-il tranquillement, durera autant que sa vie, et son règne sera sans mesure et sans trouble. Il a su lier le roi par des liens si forts, que le roi ne les peut jamais rompre. Ce que je vous dis là, c’est que je le sais bien. Je ne puis vous en dire davantage ; mais si le cardinal meurt avant moi, je vous expliquerai ce que je ne puis faire pendant sa vie. » Bidault me le conta quelques jours après, et j’ai su depuis que Vittement avoit parlé en mêmes termes à d’autres. Malheureusement il est mort avant le cardinal et a emporté ce curieux secret avec lui. La suite n’a que trop montré combien Vittement avoit dit vrai [1].

Jamais, depuis sa retraite, il n’a songé à voir le roi ni à visiter personne. Il a vécu dans la Doctrine chrétienne, dans la pénitence et dans la médiocrité la plus frugale, dans une séparation entière, dans une préparation continuelle à une meilleure vie, et il y est saintement mort au bout de quelques années. Le maréchal de Villeroy l’alloit voir quelquefois malgré lui, et en revenoit toujours charmé, quoiqu’il y trouvât souvent des morales courtes mais bien placées, que peut-être il n’y cherchoit pas.

Castries, gouverneur de Montpellier et chevalier d’honneur de Mme la duchesse d’Orléans, et dont il a été parlé

  1. Le marquis d’Argenson rapporte le même fait dans ses Mémoires manuscrits : « J’oubliais de dire que l’abbé Vittement disait à ses amis, à qui il confiait ce secret, que, s’il survivait au cardinal, il disait quel était ce lien indissoluble entre le roi et le cardinal. »