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duc d’Orléans, et c’est ce qui a payé ce que j’ai fait à la Ferté.

Le président Blamont eut permission de revenir à Paris et d’y faire sa charge aux enquêtes ; il avoit fait son marché avec le régent qui, moyennant quelque gratification secrète, fit de ce beau magistrat, si ferme et si zélé pour sa compagnie, un très bon espion qui lui rendit compte depuis avec exactitude de tout ce qui se passoit de plus intérieur dans le parlement. Il en fut reçu comme le défenseur et le martyr, et jouit quelque temps des applaudissements républicains ; mais à la fin il fut découvert et parfaitement haï, méprisé et déshonoré dans sa compagnie et dans le monde.

Pécoil mourut en ce temps-ci. C’étoit un vieux et plat maître des requêtes, qui n’avoit jamais su rapporter un procès ni aller en intendance, fort obscur et riche à millions, ne laissant qu’une fille. Cet article ne semble pas fait pour tenir place ici, mais l’étrange singularité au rapport de laquelle il donne lieu m’a engagé à ne pas l’omettre. Ce Pécoil étoit petit-fils d’un regrattier de Lyon, dont le fils, père du maître des requêtes, travailla si bien et fut si prodigieusement avare qu’il gagna des millions, mourant de faim et de froid auprès, n’habillant presque pas ni soi ni sa famille ; et le magot croissant toujours. Il avoit fait chez lui à Lyon une cave pour y déposer son argent avec toutes les précautions possibles, avec plusieurs portes dont lui seul gardoit les clefs. La dernière étoit de fer et avoit un secret à la serrure qui ri étoit connu que de lui et de celui qui l’avoit fait, qui étoit difficile et sans lequel cette porte ne pouvoit s’ouvrir. De temps en temps il y alloit visiter son argent et y en porter de nouveau, tellement qu’on ne laissa pas de s’apercevoir chez lui qu’il alloit quelquefois dans cette cave, qu’on soupçonna exister par ces voyages à la dérobée.

Un jour qu’il y étoit allé, il ne reparut plus. Sa femme, son fils, un ou deux valets qu’ils avoient, le cherchèrent partout, et ne le trouvant ni chez lui ni dans le peu d’endroits