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du roi avec l’infante sa nièce, quelque pressé qu’en fût le cardinal Mazarin et la reine même, dans la frayeur qu’ils avoient eue l’un et l’autre de ce qui avoit pensé arriver de la nièce du cardinal (1)qui épousa depuis le connétable Colone, et de ce qui étoit toujours possible à l’égard de quelque autre, tant que le roi ne seroit pas marié ; l’on aima mieux hasarder la paix et le mariage, essuyer toutes les longueurs à conclure, les persécutions et les propositions de toutes les sortes de don Louis de Haro en faveur de M. le Prince, même aux dépens du roi d’Espagne, que de souffrir qu’il tirât aucune sorte d’établissement des Espagnols, ni qu’il rentrât dans son gouvernement, ni dans sa charge de grand maître de France, qui à la fin, mais sans stipulation, furent donnés à M. son fils, mais quelque temps après ; grâce dont pour conclure on n’étoit convenu que verbalement, secrètement et comme une grâce et une galanterie personnelle au roi d’Espagne et à son ministre. Aujourd’hui que vous commencez la guerre, vous ne traitez ni mariage nécessaire et pressé, vous ne traitez point la paix, vous ne sauriez craindre qu’on se persuade au dedans ni au dehors, après l’éclat fait sur l’ambassadeur d’Espagne et ce que vous savez déjà sur M. et Mme du Maine de leurs complots avec lui, qu’on leur fasse accroire des crimes pour les perdre, et vous en saurez bien davantage quand il plaira à l’abbé Dubois de vous instruire à fond par les papiers dont vous convenez qu’il s’est saisi, qu’il a vus lui seul, et qu’il ne vous a pas montrés. Grand Dieu ! ajoutai-je avec dépit de ne trouver que de la filasse pour ne pas dire du fumier, grand Dieu ! quel précieux présent avez-vous fait à ce prince de la plus difficile vertu du christianisme, de cette vertu tellement surhumaine, si contraire à la nature et à la plus droite raison quand elle n’est pas miséricordieusement éclairée et entraî-


1.Marie Mancini avait inspiré à Louis XIV une passion qui donna des inquiétudes sérieuses à Anne d’Autriche. Voy. les Nièces de Mazarin, par M. Amédée Renée, et les Mémoires de Mme de Motteville, à l’année 1659.