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arrachés des mains de son maître, sans quoi ils étoient perdus. Le coup double et prodigieux que le régent venoit si nouvellement de frapper au dernier lit de justice sur le parlement et sur le duc du Maine, n’avoit causé ni trouble ni rumeur, mais une frayeur extrême, un silence de tremblement, une soumission entière. Cet exemple devoit donc l’encourager, puisque c’étoit aux mêmes gens qu’il avoit affaire et prévenus de plus du crime d’État. C’est ce que je lui avois représenté plus d’une fois, et que le pardon, ni le semblant de manquer de preuves quand on en a, ne réconcilient jamais ceux qui ont manqué un grand coup à celui contre qui il étoit préparé ; que le péril couru, plus il est grand, plus il irrite ; qu’un tel bienfoit reçu redouble la haine et la rage de qui s’est vu dans la main et à la merci de qui les pouvoit exterminer, leur fait mépriser une générosité qu’ils imputent à la faiblesse, qui les excite à prendre mieux leurs mesures, ou s’ils ne le peuvent pendant le reste de la régence, à renverser le régent auprès du roi majeur, avec d’autant plus de hardiesse qu’alors il n’y a plus de crime ; qu’il n’est point de régence dont le gouvernement ne puisse être attaqué, ni de vie et de mœurs telles que celles de M. le duc d’Orléans à couvert sous l’abri de son rang.

Je m’étendis un peu avec le régent sur les points de son gouvernement, qu’on pourroit rendre très répréhensibles aux yeux d’un jeune roi majeur, avec le secours d’une bonne et secrète cabale, en quoi le duc du Maine étoit un grand et dangereux ouvrier, en quoi les maréchaux de Villeroy, Villars, Huxelles, par leurs emplois dans la régence, comme témoins de près, et d’autres joints à eux, aideroient le duc du Maine : Law et sa banque ; l’alliance d’Angleterre jusqu’à l’ensorcellement, pour la fortune de l’abbé Dubois, conséquemment avec l’empereur, les deux plus grands et plus naturels ennemis de la France ; la rupture pour eux seuls, et malgré la Hollande, entraînée de force contre l’Espagne, après tant de sang et de trésors