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sur l’affaire du duc du Maine. Orseau, des postes, avoit été arrêté ; Boisdavid en Saintonge, et amené à la Bastille, où il arrivoit journellement des gens pris dans les provinces ; même le duc de Richelieu fut mis à la Bastille. La peur étoit grande que quelqu’un d’eux ne parlât, et qu’on ne mît la main sur le collet à des gens de leur connoissance qui en savoient encore plus, qui étoient encore libres, et tâchoient de faire bonne contenance. Il courut même un bruit que le maréchal de Villars alloit être arrêté. Sa frayeur éclata sur son visage et dans sa conduite. Il n’osoit plus sortir de chez lui, et il s’informoit de ce qui se disoit sur lui avec une inquiétude indécente.

Lui et sa femme m’avoient toujours extrêmement ménagé de tout temps. Ils avoient fermé les yeux et les oreilles à mes façons et à mes propos sur leur duché, et depuis encore sur leur pairie, et m’avoient sans cesse également cultivé et Mme de Saint-Simon. Ils m’envoyèrent prier d’aller chez eux, avec instance. J’y allai, et je trouvai le maréchal dans des transes et dans un abattement incroyable. Il me dit sans façon qu’il savoit qu’il alloit être arrêté, qu’il s’y attendoit à tous les instants, que ce n’étoit qu’avec la dernière inquiétude qu’il sortoit de chez lui pour le conseil de régence ou pour aller au Palais-Royal le moins qu’il pouvoit, même sans se croire en sûreté chez lui. Que cela prenoit fort sur sa santé, que les avis lui en venoient de toutes parts, que le bruit en étoit public, qu’il n’y avoit pas moyen de vivre de la sorte ; qu’il s’apercevoit depuis du temps que M. le duc d’Orléans ne le voyoit plus de bon œil, et qu’il étoit embarrassé et froid avec lui, qu’il ne savoit quel mauvais office on lui avoit rendu ; s’étendit sur son attachement et sa fidélité, et me conjura de parler à M. le duc d’Orléans, et de tâcher à le faire expliquer sur son compte. Sa femme, beaucoup plus tranquille que lui, me pria de la même chose. Je les assurai, comme il est vrai, que je n’avois rien remarqué en M. le duc d’Orléans qui eût pu donner lieu aux bruits qui