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pour le présent je la voudrois bien dispenser de la reconnoissance. Je repris qu’il étoit trop juste qu’elle ne pensât qu’à sa douleur, et à chercher tout ce qui la pourroit soulager ; que tout ce qui y contribueroit seroit bon à M. le duc d’Orléans : le voir, ne le point voir que lorsqu’elle le désireroit ; demeurer à Saint-Cloud, aller à Bagnolet ou à Montmartre, d’y demeurer tant qu’il plairoit, en un mot tout ce qu’elle désireroit faire ; que j’avois charge expresse de la prier de ne se contraindre sur rien et de faire tout ce qu’il lui conviendroit davantage. Là-dessus elle me demanda si je ne savois point ce que M. le duc d’Orléans voudroit sur ses frères, et qu’elle ne les verroit point si cela ne lui convenoit pas. Je répondis que, n’ayant nul ordre à cet égard, c’étoit une marque qu’il trouveroit fort bon qu’elle les vît ; qu’à l’égard de M. le comte de Toulouse, conservé en entier, il n’y pouvoit avoir aucune matière à difficulté, et que pour M. le duc du Maine, je n’y en croyois pas davantage, que je hasarderois même de lui en répondre s’il en étoit besoin. Elle me parla encore de celui-ci ; qu’il falloit qu’il fût bien criminel ; qu’elle étoit réduite à le souhaiter. Un redoublement de larmes suivit ces dernières paroles.

Je restai quelque temps sur mon siège, n’osant lever les yeux dans l’état du monde le plus pénible, incertain de demeurer ou de m’en aller. Enfin je lui dis mon embarras ; que je croyois néanmoins qu’elle seroit bien aise d’être seule quelque temps avant de me donner ses ordres, mais que le respect me tenoit dans un égal suspens de rester ou de la laisser. Après un peu de silence, elle témoigna qu’elle désiroit ses femmes. Je me levai, les lui envoyai et leur dis que, si Son Altesse Royale me demandoit, on me trouveroit chez Madame, chez la duchesse Sforze ou chez la maréchale de Rochefort. Je ne trouvai ni l’une ni l’autre de ces deux dames, et je montai chez Madame.

Je vis bien en entrant qu’on s’y attendoit à me voir et qu’on en avoit même impatience. Je fus environné du peu