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cœur et ne me rendit sensible qu’à la douleur que je lui allois donner. Je m’avançai encore vers elle, et lui dis enfin que M. le duc d’Orléans avoit réduit M. le duc du Mairie au rang unique d’ancienneté de sa pairie, et en même temps rétabli M. le comte de Toulouse dans tous les honneurs dont il jouissoit. Je fis en cet endroit une pause d’un moment, puis j’ajoutai qu’il avoit donné à M. le Duc la surintendance de l’éducation du roi.

Les larmes commencèrent à couler avec abondance. Elle ne me répondit point, ne s’écria point, mais pleura amèrement. Elle me montra un siège et je m’assis, les yeux fichés à terre pendant quelques instants. Ensuite je lui dis que M. le duc d’Orléans, qui m’avoit plutôt forcé que chargé d’une commission si triste, m’avoit expressément ordonné de lui dire qu’il avoit des preuves en main très fortes contre M. du Maine ; que sa considération à elle l’avoit retenu longtemps, mais qu’il n’avoit pu différer davantage. Elle me répondit avec douceur que son frère étoit un malheureux, et peu après me demanda si je savois son crime et de quelle espèce. Je lui dis que M. le duc d’Orléans ne m’en avoit du tout appris que ce que je venois de lui rendre ; que je n’avois osé le questionner sur une matière de cette nature, voyant qu’il ne m’en disoit pas plus.

Un moment après je lui dis que M. le duc d’Orléans m’avoit expressément chargé de lui témoigner la douleur très vive qu’il ressentoit de la sienne ; à quoi j’ajoutai tout ce que le trouble où j’étois me put permettre de m’aviser pour adoucir un compliment si terrible, et après quelques interstices, je lui témoignai ma douleur particulière de la sienne, toute la répugnance que j’avois eue à ce triste message, toute la résistance que j’y avois apportée, à quoi elle ne me répondit [que] par des signes et quelques mots obligeants entrecoupés de sanglots. Je finis, suivant l’expresse permission que j’en avois de M. le duc d’Orléans, par lui glisser que j’avois essayé de parer ce coup. Sur quoi elle me dit que