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nous que dans ce que je lui proposois. « Voilà un homme bien entêté et bien opiniâtre, » me dit-il ; puis tout de suite, avec un peu d’air de dépit : « Oh bien, ajouta-t-il, je la leur donnerai s’ils veulent ; » puis changea tout court de conversation.

Après qu’elle eut un peu duré, et que je le vis remis avec moi à son ordinaire, je pris congé et j’allai ce soir-là et le lendemain rendre compte à d’Antin et aux trois maréchaux de ce que je venois d’emporter. Tous me louèrent fort d’avoir insisté sur la parole à donner à chacun d’eux, et sur la permission de n’en pas faire un mystère. Je m’en applaudis plus qu’eux parce que j’évitai par là d’en être la dupe, de voir entrer le grand prieur au conseil et M. le duc d’Orléans nier sa parole. Ces quatre ducs ne tardèrent pas à aller recevoir la parole positive de M. le duc d’Orléans, qui la leur donna très nette d’un air aisé, et qui après leur voulut persuader qu’elle ne lui coûtoit rien sur une chose qu’il n’avoit jamais pensé à faire. Ces messieurs prirent tout pour bon, mais le supplièrent, en se retirant, de n’oublier pas qu’ils avoient sa parole. On peut juger que nous n’en gardâmes pas longtemps le secret avec la permission que j’en avois arrachée. Cela mit le grand prieur aux champs, et M. le duc d’Orléans en proie à ses reproches, qui en fut quitte pour un peu d’argent, avec quoi il fit taire le grand prieur, lequel, se voyant la porte du conseil tout à fait fermée, fut encore bien aise d’en tirer ce parti. Revenons maintenant où nous en étions, après cet oubli réparé.

Le frère du roi de Portugal, lassé d’être depuis quelques mois à Paris logé chez l’ambassadeur de cette couronne, sans distinction et sans recevoir aucune honnêteté du roi, du régent, ni du monde à leur exemple, songea à se raccommoder avec le roi son frère, qui lui envoya de l’argent pour revenir à sa cour. Ce prince, toutefois, n’osa s’y fier et s’en retourna à Vienne. Il avoit fait deux campagnes en Hongrie avec réputation.