Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/133

Cette page n’a pas encore été corrigée

servis, sans me parler de la retraite. Je lui répondis froidement qu’il devoit savoir maintenant dans quelle estime le grand prieur étoit dans le monde, quand il l’auroit pu ignorer auparavant, depuis ce que ces messieurs lui en avoient dit ; qu’il me taisoit le plus important de leur conversation, quoiqu’il pût bien juger que je ne l’ignorois pas ; que c’étoit maintenant à lui à peser le mérite du grand prieur contre celui du maréchal d’Harcourt si universellement reconnu, contre ses emplois et ceux du maréchal de Villeroy pendant toute sa vie, contre ceux du maréchal de Villars, tous trois si magnifiquement traités dans le testament du feu roi, si grandement établis et si fort considérés dans le monde ; que je ne lui parlois plus de leur dignité à la façon dont il s’en étoit joué, mais qui à force d’injures pouvoient s’en souvenir à propos ; que je me contentois du parallèle de ces trois hommes avec le grand prieur, et de le supplier comme son serviteur, faisant abstraction de tout autre intérêt que le sien, de réfléchir un peu sur l’effet que feroit dans le monde le troc qu’il feroit au conseil de régence de ces trois hommes-là pour y mettre un bandit, un homme de sac et de corde, à qui, depuis tant d’années, il n’y avoit pas un honnête homme qui voulût lui parler.

Jamais je ne vis homme plus embarrassé que M. le duc d’Orléans le fut de ce discours, que je lui fis lentement, tranquillement, posément, et qu’il écouta sans m’interrompre. Il demeura court, et le silence dura un peu. « Monsieur, lui dis-je ; en le rompant le premier, nous savons tous le respect que nous devons à un petit-fils de France et à un régent du royaume ; ainsi nos représentations seront toujours parfaitement respectueuses. Nous sommes aussi parfaitement éloignés de nous écarter assez de notre devoir pour oser vous faire une menace ; mais rendre compte à Votre Altesse Royale d’une résolution prise, et très fermement, et des raisons qui nous engagent à la prendre, est un respect que nous vous rendons pour que, le cas avenant, vous ne