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bien plus dangereux en ces occasions-là que les plus mauvais offices. Il alla donc trouver le régent, et, de ce ton bas, modeste et doux, qu’il avoit si bien fait sien, il lui représenta qu’au cas qu’il y eût une promotion de maréchaux de France comme le vouloit le public, et qu’il en fît d’inutiles, de vouloir bien se souvenir qu’il étoit depuis bien des années le premier des lieutenants généraux. M. le duc d’Orléans, qui étoit l’homme du monde qui sentoit le mieux le sel et la malignité, se mit à éclater de rire, et lui promit, qu’au cas qu’il exposoit il ne seroit pas oublié. Il en fit après le conte à tout le monde, dont les prétendus candidats se trouvèrent bien fâchés, et Broglio affublé de tout le ridicule que M. de Lauzun avoit prétendu donner. Mais le rare est que ce qui lui attira la déraison publique alors le fit maréchal de France cinq ans après ; il est vrai que la dérision fut pareille, mais il le fut.

En Languedoc, où le crédit et l’intérêt de Bâville l’avoit mis et soutenu après une longue oisiveté, on étoit fort las de lui. Le mépris s’y joignit, les sottises qu’il fit au passage du prince royal de Danemark le pensèrent perdre, comme on l’a vu en son lieu. Enfin, le crédit de la jadis belle duchesse de Roquelaure, et l’embarras que faire de son mari après sa triste déconfiture des lignes de Flandre, avoient fait rappeler Broglio et mettre Roquelaure en Languedoc. De retour à Paris, il y languit dans l’obscurité et arriva à une longue et saine vieillesse, lorsque son second fils, qui fut depuis maréchal de France et bien pis encore, se trouva assez à portée de M. le Duc, premier ministre, et de ce qui le gouvernoit, pour faire valoir la primauté de lieutenant général de son père, et leur faire accroire que c’étoit obliger tous les officiers généraux que le faire maréchal de France.

Par cette qualité, Broglio voulut comme que ce fût illustrer sa famille dans l’avenir, laquelle, en effet, en avoit grand besoin, tandis que son frère aîné, pétri d’envie et de haine, déploroit, disoit-il, cette sottise et un ridicule dont