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contre cette guerre. M. le Duc, si étroitement lié avec le régent depuis le lit de justice, étoit là pour la forme, et Argenson et Le Blanc, comme les deux acolytes de l’abbé Dubois. Je ne compris donc point ce qui m’y faisoit admettre en cinquième, à moins que Dubois n’ait voulu orner son triomphe d’un captif qu’il n’osoit et ne pouvoit mépriser, et montrer à son maître qu’il n’étoit point blessé contre ceux qui ri étoffent point de son avis, ou que le régent, honteux avec moi, m’eût voulu faire cette petite civilité, et peut-être s’appuyer de moi pour adoucir des termes trop forts du manifeste.

Le Blanc fit posément la lecture de la pièce. On voulut l’interrompre pour y faire quelque changement. Je proposai qu’on l’entendît tout de suite pour en prendre le total et le sens, faire chacun à part soi ses remarques, et à la seconde lecture interrompre et dire ce qu’on jugeroit à propos : cela fut exécuté de la sorte. Cette pièce fut ce qu’elle devoit être, c’est-à-dire masquée, fardée, mais pitoyable jusqu’à montrer la corde, parce que nul art ne pouvoit couvrir le fond ni produire au public rien de plausible ; du reste, écrite aussi bien qu’il étoit possible, parce que Fontenelle ne pouvoit mal écrire. On raisonna assez, on conclut peu, on y fit peu de changements. Ce beau manifeste fut porté deux jours après au conseil de régence. Il y passa tout d’une voix, comme tout ce que le régent y présentoit. Le public ne fut pas si docile. Il le fut encore moins à la déclaration de la guerre, qui suivit de près le manifeste contre l’Espagne. Cela ne servit qu’à montrer quelle étoit la disposition de la nation ; mais comme rien n’étoit organisé, et que ceux qui auroient voulu brouiller se trouvoient étourdis et effrayés du lit de justice des Tuileries et du coup de tonnerre tombé tôt après sur le duc et la duchesse du Maine et sur l’ambassadeur d’Espagne, tout se borna à une fermentation qui ne put faire peur au gouvernement. Le traité de la quadruple alliance fut imprimé bientôt après, qui ne trouva point d’approbateurs.