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qui piaffoit en conquérant ; le maréchal d’Huxelles, tout important dans son lourd silence, tout du Maine, tout premier président, et qui, lié aux autres par ces mêmes liens, se persuadoit être le Mentor de la cabale et en sûreté avec ces personnages ; Tallard, qui avec tout son esprit ne fut jamais que le frère au chapeau du maréchal de Villeroy et le valet des Rohan ; Mme de Ventadour, transie par son vieil galant et bien d’autres en sous-ordre, pas un n’osoit dire un seul mot ; ils évitoient de se rencontrer ; leur frayeur peinte sur leurs mornes visages les déceloit. Ils ne sortoient de chez eux que par nécessité. L’importunité qu’ils recevoient de ce qui alloit les voir se montroit malgré eux. La morgue étoit déposée ; ils étoient devenus polis, caressants, ils mangeoient dans la main, et, par ce changement subit et l’embarras qui le perçoit, ils se trahissoient eux-mêmes.

Je ne puis dire de quelle livrée fut le duc de Noailles, mais il se soutint mieux que les autres, quoique avec un embarras marqué, malgré son masque ordinaire, et il s’aida fort à propos de son enfermerie à laquelle tout le monde étoit accoutumé. S’il étoit ou n’étoit pas de l’intrigue, je n’ai pu le démêler ; mais ce qui fut visible, c’est qu’il fut fort fâché de la découverte. La perte des finances, le triomphe de Law n’avoient pu être compensés par toutes les grâces dont le régent l’accabla. Il fut outré de plus de n’avoir été de rien sur le lit de justice, ni sur l’arrêt de M. et Mme du Maine, et je crois qu’il auroit voulu jouir de l’embarras du régent par quelque succès de la conspiration. D’un autre côté, il étoit trop connu et trop méprisé des principaux personnages pour que je me puisse persuader qu’ils lui eussent fait part de leurs secrets.

Le comte de Toulouse, toujours le même, vint, aussitôt l’arrêt du duc et de la duchesse du Maine, trouver M. le duc d’Orléans. Il lui dit nettement qu’il regardoit le roi, le régent et l’État comme une seule et même chose ; qu’il l’assuroit sans crainte et sans détour qu’on ne le trouveroit jamais en