Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/120

Cette page n’a pas encore été corrigée

temps le duc du Maine, qui a depuis particulièrement protégé sa famille.

Au retour de Favancourt, je fus curieux de l’entretenir à fond. Il me conta que la mort étoit peinte sur le visage du duc du Maine pendant tout le voyage depuis Sceaux jusqu’à Dourlens ; qu’il ne lui échappa ni plainte, ni discours, ni question, mais force soupirs. Il ne parla point du tout les premières cinq ou six heures et fort peu le reste du voyage, et dans ce peu presque toujours des choses qui s’offroient aux yeux en passant. À chaque église devant quoi on passoit, il joignoit les mains, s’inclinoit profondément et faisoit force signes de croix, et par-ci, par-là, marmottoit tout bas des prières avec des signes de croix. Jamais il ne nomma personne, ni Mme la duchesse du Maine, ni ses enfants, ni pas un de ses domestiques, ni qui que ce soit. À Dourlens il faisoit ou montroit faire de longues prières, se prosternoit souvent, étoit petit et dépendant de Favancourt comme un très jeune écolier devant son maître, avoit trois valets avec lui avec qui il s’amusoit, quelques livres, point de quoi écrire ; il en demanda fort rarement, et donnoit à lire et à cacheter à Favancourt ce qu’il avoit écrit. Au moindre bruit, au plus léger mouvement extraordinaire, il pâlissoit et se croyoit mort. Il sentoit bien ce qu’il avoit mérité et jugeoit par lui-même de ce qu’il avoit lieu de craindre d’un prince qu’il avoit pourtant dû avoir reconnu plus d’une fois être si prodigieusement différent de lui. Pendant le voyage et à Dourlens il mangea toujours seul.

Mme la duchesse du Maine, conduite par le cadet La Billarderie, aussi lieutenant des gardes du corps, trouva en lui de la complaisance. Elle en abusa et M. le duc d’Orléans le souffrit avec cette débonnaireté si accoutumée. On eût dit, pendant la route, que c’étoit une fille de France qu’une haine sans cause et sans droit traitoit avec la dernière indignité. L’héroïne de roman, farcie des pièces de théâtre qu’elle jouoit elle-même à Sceaux depuis plus de vingt ans, ne parloit