Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1858, octavo, tome 17.djvu/12

Cette page n’a pas encore été corrigée

moi qui étois dans sa confidence la plus intime et la plus étroite sur toutes choses, moi dont elle ne pouvoit ignorer l’excès de ma joie de cela même qui feroit sa plus mortelle douleur. S’il est rude d’annoncer de fâcheuses nouvelles aux plus indifférents, combien plus à des personnes en qui l’estime et l’amitié véritable et le respect du rang se trouvent réunis, et quel embarras de plus dans une espèce si singulière !

Pénétré de ces sentiments douloureux, mon carrosse arrive au fond de la grande cour de Saint-Cloud, et je vois tout le monde aux fenêtres et accourir de toutes parts. Je mets pied à terre, et je demande au premier que je trouve de me mener chez Mme Sforze, dont j’ignorois le logement. On y court : on me dit qu’elle est au salut avec Mme la duchesse d’Orléans, dont l’appartement n’étoit séparé de la chapelle que par un vestibule, à l’entrée duquel j’étois. Je me jette chez la maréchale de Rochefort, dont le logement donnoit aussi sur ce vestibule, et je prie qu’on m’y fasse venir Mme Sforze. Un moment après, on me vint dire qu’on ne savoit ce qu’elle étoit devenue, et que Mme la duchesse d’Orléans, sur mon arrivée, retournoit m’attendre dans son appartement. Un autre tout aussitôt me vint chercher de sa part ; puis un second coup sur coup. Je n’avois qu’un cri après la duchesse Sforze, résolu de l’attendre, lorsque incontinent la maréchale de Rochefort arriva, clopinant sur son bâton, que Mme la duchesse d’Orléans envoyoit elle-même pour m’amener chez elle. Grande dispute avec elle, voulant toujours voir Mme Sforze, qui ne se trouvoit point. Je voulus aller chez elle pour m’éloigner et me donner du temps ; mais la maréchale inexorable me tiroit par les bras, me demandant toujours les nouvelles que j’apportois. À bout enfin, je lui dis : « Celles que vous savez. — Comment ! reprit-elle, c’est que nous ne savons chose au monde, si ce n’est qu’il y a eu un lit de justice, et nous sommes sur les charbons de savoir pourquoi, et ce qui s’y est passé. » Moi,