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s’en passer. Là-dessus, le cardinal en colère lui répondit en le menaçant qu’il sauroit bien l’en empêcher. Saint-Aignan fut sage et se contint ; mais voyant à quel homme il étoit exposé, et jugeant avec raison du mystère à le retenir à Madrid, il prit si bien et si secrètement ses mesures, qu’il partit la nuit même, et gagna pays avec son plus nécessaire équipage, et qu’il arriva au pied des Pyrénées avant qu’on eût pu le joindre et l’arrêter, comme il se doutoit bien qu’Albéroni, qui étoit un homme sans mesure, ne manqueroit pas d’envoyer après lui pour l’arrêter.

Saint-Aignan, déjà si heureusement avancé, ne jugea pas à propos de s’y exposer plus longtemps, et dans l’embarras des voitures parmi ces montagnes. Lui et la duchesse sa femme, suivis d’une femme de chambre et de trois valets, avec un guide bien assuré, se mirent tous sur des mules pour gagner Saint-Jean-Pied-de-Port sans s’arrêter en chemin que des moments nécessaires pour repaître. Il ordonna à son équipage d’aller à Pampelune à leur aise, et mit dans son carrosse un valet de chambre et une femme de chambre intelligents, avec ordre de se faire passer pour l’ambassadeur et l’ambassadrice, au cas qu’on les vînt arrêter, et de crier bien haut. La chose ne manqua pas d’arriver. Les gens qu’Albéroni avoit détachés après eux rejoignirent l’équipage fort tôt après. Les prétendus ambassadeur et ambassadrice jouèrent très bien leur personnage, et ceux qui les arrêtèrent ne doutèrent pas d’avoir fait leur capture, dont ils dépêchèrent l’avis à Madrid, et la gardèrent bien dans Pampelune où ils l’avoient fait rebrousser.

Cette tromperie sauva M. et Mme de Saint-Aignan et leur donna moyen d’arriver à Saint-Jean-Pied-de-Port. Dès qu’ils y furent ils envoyèrent chercher du secours et des voitures à Bayonne, où ils se rendirent en sûreté et s’y reposèrent de leurs fatigues. Le duc de Saint-Aignan en donna avis à M. le duc d’Orléans par un courrier, et envoya dire son arrivée à Bayonne au gouverneur de Pampelune et le prier de lui renvoyer