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fruit d’une telle union seroit de rendre l’empereur et le duc de Savoie maîtres absolus en Italie, en sorte que l’Espagne, persistant à refuser le projet du traité comme contraire au repos public, attireroit sur elle-même et sur toute l’Europe le malheur que cette couronne sembloit appréhender de l’excès de puissance de la maison d’Autriche. La conclusion de ce raisonnement étoit qu’il n’y avoit de remède aux maux qu’on craignoit, que de lier les mains à l’empereur, et de profiter pour cet effet du consentement qu’il y donnoit lui-même ; qu’il seroit de la dernière imprudence de lui laisser la liberté de se dégager, dans une conjoncture où il étoit assuré de faire la paix avec le Turc, et maître de traiter comme il voudroit avec le roi de Sicile.

Les Anglois ajoutèrent à ces raisons un motif d’intérêt et de considération personnelle pour la reine d’Espagne et pour Albéroni. Ils firent entendre à l’un et à l’autre que l’état incertain de la santé du roi d’Espagne devoit les porter tous deux à suivre en cette occasion les conseils du roi d’Angleterre. Les ministres anglois se montrèrent plus faciles sur l’article des garnisons espagnoles. Ils déclarèrent que le roi d’Angleterre consentiroit à la demande du roi d’Espagne d’introduire ses troupes dans les places du grand-duc et du duc de Parme, pourvu toutefois qu’il en obtînt le consentement de ces princes. Il falloit, disoient-ils, ménager avec beaucoup d’attention une telle clause, capable de renverser le traité si elle étoit mise en négociation avant que l’empereur eût signé. Mais au fond, les Anglois savoient bien qu’ils ne risquoient rien en donnant cette apparence de satisfaction au roi d’Espagne, et que les deux princes dont ils exigeoient le consentement préalable ne le donneroient jamais volontairement. Ils pouvoient compter pareillement sur la disposition intérieure et véritable du roi d’Espagne, résolu de tenter les hasards d’une guerre, et d’essayer s’il pourroit profiter de la conjoncture qu’il trouvoit si favorable et si propre à réparer les pertes qu’il avoit faites de ses États d’Italie.