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une intelligence secrète entre cette couronne et celle d’Espagne. Bien des gens, à la vérité, croyoient que ces bruits étoient artificieux, qu’ils étoient répandus par le premier ministre pour mieux cacher ses entreprises et pour leur donner plus de crédit. Cette opinion paraissoit confirmée par la douceur qui régnoit dans les conférences fréquentes que le cardinal avoit avec Nancré. On n’y découvroit pas la moindre émotion ni le moindre commencement de froideur. On supposoit donc qu’il y avoit dans le projet de traité des articles secrets infiniment plus avantageux pour l’Espagne que ceux qu’on avoit laissés paroître. On ajoutoit que la France ni l’Angleterre ne s’opposoient pas au départ de la flotte espagnole. On alloit jusqu’à dire que l’escadre anglaise agiroit de concert avec elle pour l’exécution du projet, dont la connoissance n’étoit pas encore livrée au public. D’autres, moins crédules et plus défiants, soupçonnoient également la foi de la cour de France et de celle d’Espagne. Ils se persuadoient que toutes deux vouloient sonder et découvrir réciproquement ce que l’autre pensoit, gagner du temps, et que ces manèges si contraires à la bonne intelligence finiroient par une rupture. Ils étoient persuadés que la cour de France étoit bien éloignée de souhaiter que le roi d’Espagne fit des conquêtes ; qu’elle désiroit seulement de le voir engagé à faire la guerre en Italie, et forcé de s’épuiser pour la soutenir. Comme le roi d’Espagne avoit frété un grand nombre de bâtiments françois pour servir au transport de ses troupes, ceux qui prétendoient que le régent verroit avec plaisir commencer la guerre en Italie, regardèrent comme une preuve de leur opinion, et comme une collusion secrète, la permission tacite qu’il sembloit donner aux sujets du roi, d’employer leurs vaisseaux au service de Sa Majesté Catholique. Enfin chacun raisonnoit à sa manière, et peu de gens croyoient que l’Espagne, seule et sans certitude d’alliés, voulût entreprendre la guerre.

On eut lieu de croire que le roi d’Espagne, paraissant difficile