Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée

de le faire. Le payement de ces troupes et de l’armée navale étoit assuré pour le cours entier de l’année. Enfin on établissoit comme chose certaine que Sa Majesté Catholique n’avoit encore consommé que sept mois de son revenu des rentes générales et provinciales, et qu’elle attendoit le retour de soixante-treize vaisseaux qui revenoient des Indes. Avec ces belles ressources, Albéroni concluoit qu’il y auroit poltronnerie et bassesse à céder, hors un cas de nécessité absolue ; qu’il falloit auparavant éprouver toutes sortes de contretemps ; même s’il étoit nécessaire de périr, périr les armes à la main ; et qu’avant qu’être réduit à cette extrémité, le roi d’Espagne verroit et connoîtroit ses véritables amis, en sorte qu’après cette épreuve, il seroit en état de prendre à leur égard des mesures certaines ; car il persistoit toujours à conclure que le projet étoit chimérique en ce qui regardoit les conditions proposées pour le roi d’Espagne, et qu’on devoit le nommer monstrueux à l’égard des avantages accordés à l’empereur ; en sorte qu’il paraissoit clairement que la raison ni la justice n’avoient pas dirigé un tel ouvrage, et qu’il étoit seulement forgé par la passion et par l’intérêt particulier de ceux qui l’avoient imaginé. Voulant fortifier son avis par le témoignage de tous les gens sensés, il assuroit, qu’il n’y en avoit aucun qui ne fût surpris de voir les principales puissances de l’Europe, comme conjurées ensemble, concourir aveuglément à l’agrandissement d’un prince qu’elles devoient craindre par toutes sortes de raisons, et tâcher, par conséquent, d’abaisser en cette occasion. Il donnoit aux bons François le premier rang parmi les gens sensés, soutenant qu’ils regardoient le projet avec horreur, et qu’ils [étoient] pénétrés de douleur de voir la conduite du gouvernement, si directement opposée aux anciennes maximes que la France avoit suivies et soutenues par de si longues guerres pour tenir en bride la puissance autrichienne.

Albéroni, depuis longtemps ennemi de Monteléon, l’accusoit de ne parler que par l’organe de l’abbé Dubois. La