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son génie. Comme il étoit maître d’employer comme il vouloit le nom de Leurs Majestés Catholiques, il ne manqua pas de dire qu’elles avoient regardé avec autant d’indignité que de mépris le libelle infâme divulgué contre lui par l’ambassadeur de l’empereur à la cour de Rome. Albéroni promit de se venger du perfide ministre de la cour de Vienne, accoutumé, disoit-il, à se servir d’impostures, et de faire la guerre aux Allemands de manière que cette barbare nation s’en sentiroit longtemps.

Il ne menaçoit pas moins le pape que, l’empereur, quoique ce fût en termes plus doux. Il déploroit le peu de courage que le chef de l’Église montroit lorsqu’il s’agissoit de défendre la religion. Albéroni, plein de zèle, gémissoit de voir les Allemands profiter de la faiblesse du saint-père, et l’engager à faire chaque jour quelque demande contraire à sa conscience et à son honneur. Il laissoit entrevoir que Sa Sainteté auroit lieu de se repentir de la manière dont elle en usait à son égard, autant que de la partialité qu’elle témoignoit pour l’empereur. Elle suspendoit encore les bulles de Séville ; mais Albéroni, déjà pourvu de l’évêché de Malaga, jouissoit du revenu des deux églises. Il se vanta qu’ils lui suffiroient pour vivre commodément à Madrid à la barbe de Pantalon et pour aller en avant. Il voulut de plus faire connoître à la cour de Rome qu’il pouvoit compter sur les égards que la cour de France auroit pour lui, et qu’il n’avoit point à craindre que le régent entreprît de le traverser ; la preuve dont il se servit fut de révéler à ses amis que le cardinal del Giudice s’étant adressé au régent pour se justifier auprès du roi d’Espagne par l’intercession de Son Altesse Royale, non seulement elle ne lui avoit rendu aucun office, mais même avoit envoyé les lettres tout ouvertes de Giudice à Albéroni, sans les accompagner de la moindre ligne ni pour lui ni pour Sa Majesté Catholique.

Toutefois Giudice comptoit beaucoup sur les offices de M. le duc d’Orléans ; il étoit même si persuadé qu’ils réussiroient,