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les dames du palais, etc. Leurs cabales, leurs agréments, la cour, les grands, les valets, tout cela se tient l’un à l’autre : ainsi toutes ressources ne sont que des gouttes d’eau dans la mer. C’est ce qui vient d’arriver aux nouveaux emprunts : à peine y a-t-il eu deux millions de portés pour rentes viagères qu’ils ont été mis à payer la maison du roi, à qui l’on doit encore beaucoup par delà.

« Pour ce retranchement des dépenses du roi, il faudroit donc que le caractère de facilité du roi se réformât, ou bien qu’il se donnât un premier ministre bien autorisé, qui fût maître de tout, et que le roi soutînt dans toutes ses opérations avec grande fermeté ; ce qui lui est très difficile. Il faudroit que ce vizir ne vît seulement pas la marquise [1], bien éloigné de recevoir d’elle des ordres à chaque opération, comme on fait aujourd’hui. Ce vizir devroit d’abord former une commission de réformation, composée d’une douzaine de magistrats des plus sévères, qui réduisît toutes les dépenses de la cour au pied le plus juste, et [jugeât] le sujet de renvoi dans les provinces de tous ceux qui n’ont que faire à la cour ni à la ville. Il faudroit que la cour vînt résider à Paris, avec l’usage de quelques maisons de campagne pour le roi, pour la reine et pour la maison royale. »

L’énoncé seul de ces idées prouve combien les réformes étoient alors difficiles, pour ne pas dire impossibles. Le marquis d’Argenson imputoit surtout à la cour l’opposition à toutes les améliorations, et la proclamoit la cause principale des malheurs de la France à cette époque.

« La cour ! la cour ! la cour ! Dans ce mot est tout le mal de la nation. La cour est devenue le seul sénat de la nation : le moindre valet de Versailles est sénateur ; les femmes de chambre ont part au gouvernement ; si ce n’est pour ordonner, c’est du moins pour empêcher les lois et les règles ; et, à force d’empêcher, il n’y a plus ni lois, ni ordre, ni ordonnateurs ; à plus forte raison quand il s’agiroit de réformation dans l’État. Quand la réforme seroit si nécessaire, tout ministre tremble devant un valet ; et combien cela est-il plus vrai, quand une favorite a grand crédit, quand le monarque est facile et trop bon pour ce qui l’entoure ?

« Cet ascendant de la cour est venu ainsi, depuis qu’il y a une capitale exprès pour la cour (Versailles). Sous le feu roi, on s’en ressentit, mais moins ; car il étoit haut, ferme, et autorisoitt beaucoup ses ministres, quelque chose qu’on en pût dire. Mais sous lui et sous Louis XV, les ministres, en revanche, ont beaucoup perfectionné l’autorité monarchique, arbitraire, la cour augmentant par là de pouvoir sur la nation. Le goût du luxe s’est accru, de sorte qu’à mesure que la noblesse est devenue plus pauvre, l’honneur de dépenser avec

  1. La marquise de Pompadour.