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à cette autre ouverture de la porte, que je refermai bien après ; et il faut avouer que cette occupation de tête et de corps, d’examen et d’attention continuelle à interrompre, à prévenir, à être en garde sur toute une vaste pièce et un nombre de gens qu’on veut contenir et déranger sans qu’il y paroisse, ne fut pas un petit soin ni une petite fatigue. M. le duc d’Orléans, M. le Duc et La Vrillière en portoient leur part, qui ne diminuoit guère la mienne.

Enfin le parlement en place, les pairs arrivés, et les présidents ayant été en deux fois prendre leurs fourrures derrière des paravents disposés dans la pièce voisine, des Granges vint avertir que tout étoit prêt. Il avoit été agité si le roi dîneroit en attendant, et j’avois obtenu que non, dans la crainte qu’entrant aussitôt après au lit de justice, et ayant mangé avant son heure ordinaire, il ne se trouvât mal, qui eût été un grand inconvénient. Dès que des Granges eut annoncé au régent qu’il pouvoit se mettre en marche, Son Altesse Royale lui dit de faire avertir le parlement, pour la députation à recevoir le roi, au lieu du bout de la pièce des Suisses, où elle avoit été réglée, et dit tout haut à la compagnie qu’il falloit aller prendre le roi.

À ces paroles, je sentis un trouble de joie du grand spectacle qui s’alloit passer en ma présence, qui m’avertit de redoubler mon attention sur moi. J’avois averti Villars de marcher avec nous, et Tallard de se joindre aux maréchaux de France, et de céder à ses anciens, parce qu’en ces occasions les ducs vérifiés n’existent pas. Je tâchai de me munir de la plus forte dose que je pus de sérieux, de gravité, de modestie. Je suivis M. le duc d’Orléans, qui entra chez le roi par la petite porte, et qui trouva le roi dans son cabinet. Chemin faisant, le duc d’Albret et quelques autres me firent des compliments très marqués, avec grand désir de découvrir quelque chose. Je payai de politesse, de plaintes de la foule, de l’embarras de mon habit, et je gagnai le cabinet du roi.