Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/428

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Le duc du Maine, pâle et comme mort, me parut près de se trouver mal ; il s’ébranla à peine pour gagner le bas bout de la table, dont il étoit assez près, pendant quoi le comte de Toulouse vint dire un mot très court au régent, et se mit en marche le long du cabinet. Tous ces mouvements se firent en un clin d’œil. Le régent, qui étoit auprès du fauteuil du roi, dit haut : « Allons messieurs, prenons nos places. » Chacun s’approcha de la sienne, et comme je regardois de derrière la mienne, je vis les deux frères auprès de la porte ordinaire d’entrée comme des gens qui alloient sortir. Je sautai, pour ainsi dire, entre le fauteuil du roi et M. le duc d’Orléans pour n’être pas entendu du prince de Conti, et je dis à l’oreille avec émotion au régent, qui étoit déjà en place : « Monsieur, les voilà qui sortent. — Je le sais bien, me répondit-il tranquillement. — Oui, répliquai-je avec vivacité, mais savez-vous ce qu’ils feront quand ils seront dehors ? — Rien du tout, me dit-il ; le comte de Toulouse m’est venu demander permission de sortir avec son frère ; il m’a assuré qu’ils seront sages. — Et s’ils ne le sont pas ? répliquai-je. — Mais ils le seront, et s’ils ne le sont pas, il y a de bons ordres de les bien observer. — Mais s’ils font sottise ou qu’ils sortent de Paris. — On les arrêtera, il y a de bons ordres, je vous en réponds. » Là-dessus, plus tranquille, je me mis en place ; à peine y fus-je qu’il me rappela, et me dit que, puisqu’ils sortoient, il changeoit d’avis, et avoit envie de dire ce qui les regardoit au conseil. Je lui répondis que le seul inconvénient qui l’en empêchoit étant levé par cette sortie, je croirois que ce seroit très mal fait de ne le pas dire à la régence. Il le communiqua à M. le Duc, tout bas à travers la table et le fauteuil du roi, puis appela le garde des sceaux, qui tous deux l’approuvèrent, et alors nous nous mîmes tout à fait en place.

Tous ces mouvements avoient augmenté le trouble et la curiosité de chacun. Les yeux de tous occupés sur le régent,