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réduit son incomparable fausseté, et je le contredis faiblement pour l’attirer à la confiance en cet obstacle, à avouer que c’étoit le seul.

Quand je l’y tins de manière à ne pouvoir échapper, je lui dis que M. le Duc sentoit mieux que lui la conséquence de nous avoir tous pour amis, et de réparer par là le mal qu’il nous avoit fait ; qu’il n’ignoroit pas que Son Altesse Royale avoit eu la bonté, lors de son procès avec les bâtards, de se décharger sur lui de toute notre haine ; qu’il désiroit la faire cesser, d’autant plus qu’il sentoit maintenant l’illusion et la faute du rang intermédiaire ; qu’il lui demanderoit expressément la réduction des bâtards au rang d’ancienneté de leurs pairies, et que nous verrions alors jusqu’où Son Altesse Royale pousseroit sa mauvaise volonté à notre égard ; que, pour moi, je lui avouois que j’étois tous les jours étonné de moi-même de ce que je pouvois le voir, lui parler, lui demeurer attaché, avec la rage que j’aurois dans le cœur contre tout autre qui nous auroit traités comme il avoit fait ; que c’étoit le fruit de trente années d’habitude et d’amitié, dont je m’émerveillois tous les jours de ma vie ; mais qu’il ne falloit pas qu’il jugeât du cœur des autres par le mien à son égard, qui n’étoient pas retenus par les mêmes prestiges, et qu’il avoit grand besoin de se rattacher.

Je me tus alors et m’attachai moins à écouter sa réponse qu’à examiner à son visage l’effet d’un discours si sincère, et qui, pour en dire la vérité, auroit pu l’être davantage. Je le vis rêveur et triste, la tête basse, et comme un homme flottant entre ses remords et sa faiblesse, et en qui même sa faiblesse combattoit de part et d’autre. Je ne voulus pas le presser pour lui donner lieu de sentir une sorte d’indignation qui auroit usurpé un autre nom avec un autre homme, et que j’estimai qui feroit une plus forte impression sur lui que plus de paroles et de véhémence. Néanmoins, le voyant toujours pensif et taciturne un temps assez long : « Eh