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les connoissances du roi qui croîtroient avec l’âge deviendroient périlleuses, et pour se porter à vouloir garder le duc du Maine, et pour prendre toutes les impressions qu’il lui voudroit donner ; qu’il y avoit plus qu’il ne risquoit rien à me le dire, quoique, M. le duc d’Orléans le lui eût donné sous le secret, et après m’avoir conté la conversation du régent avec M. le comte de Toulouse, il ajouta que Son Altesse Royale avoit conçu tout ce qu’il y avoit à juger du duc du Maine par l’aveu de son frère qui n’en répondoit point.

Comme je le visse fonder en raisonnements là-dessus, et compter de m’ébranler par la nouveauté d’un fait si considérable, je lui avouai que M. le duc d’Orléans me l’avoit raconté aussi, mais que ce fait, tout considérable qu’il étoit, ne levoit aucune des difficultés que je venois de lui montrer, et prouvoit seulement l’ineptie consommée de n’avoir pas traité les bâtards comme je le voulois à la mort du roi. « Oui, monsieur, reprit vivement M. le Duc, et en homme qui a pris son parti, vous aviez grande raison, sans doute ; mais plus vous aviez raison alors et moins vous l’avez aujourd’hui. Pardonnez-moi si je vous parle si librement, car votre raisonnement ne va qu’à nous laisser égorger par ces MM. les bâtards à leur bon point et aisément, et en attendant qu’ils le puissent par la majorité, à leur en laisser tranquillement tous les moyens et toutes les forces. Or, si M. le duc d’Orléans est de cette humeur-là pour sa vade [1], je ne suis pas si paisible pour la mienne. Il est si grand qu’il espère apparemment leur échapper d’une façon ou d’une autre, par force ou par reconnoissance de ne les avoir pas écrasés, en quoi je crois qu’il se trouveroit pris pour dupé. Moi qui n’ai ni les mêmes ressources ni la même grandeur, encore un coup je n’en crois point de trouble, et je ne crois point, leur affaire assez arrangée ; mais troubles pour troubles ils seront pires en différant ;

  1. Ce mot se trouve déjà dans Saint-Simon dans le sens de pour son compte.