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pour le fond. Pour le goût, j’aime M. le comte de Toulouse, vous l’avez bien vu en cette conversation. Je l’aime par une estime singulière. Ma séance au conseil auprès de lui a formé ces liens ; nous nous y parlons des choses du conseil, et rarement d’autres. Je ne le vois point chez lui que par nécessité qui n’arrive pas souvent, et cette nécessité me déplaît à cause du cérémonial auquel je ne puis me ployer. Je lui souhaite toutes sortes d’avantages ; mais quelque mérite que je lui sente avec goût, il est bâtard, monsieur, il est injurieusement au-dessus de moi, jamais je ne consentirai à faire un bâtard lieutenant général du royaume, beaucoup moins au préjudice des princes du sang. Voilà mes sentiments, comptez-y. N’en parlez jamais, je vous en conjure encore, parce que je ne veux pas me brouiller avec Mme la duchesse d’Orléans, pour un futur contingent qui n’arrivera, j’espère, jamais. Je ne puis douter de son entêtement là-dessus. J’y ai répondu obliquement et me suis ainsi tiré d’affaire, vous ne voudriez pas m’en faire avec elle. » Là-dessus nouvelles protestations du secret, nouvelles honnêtetés, et je coupai la parenthèse, de laquelle néanmoins je ne fus point du tout fâché, par supplier M. le Duc que nous convinssions enfin de quelque chose pour ne pas demeurer inutilement ensemble, et donner lieu à la curiosité de ceux qui peut-être l’attendoient déjà.

Il me dit que toute la présomption de sa part n’alloit qu’à ôter M. du Maine d’auprès du roi, à me prier de voir M. le duc d’Orléans ce matin même pour lui en parler de mon mieux, et que, pour ce faire, il consentoit à celui des trois édits, dont il avoit porté les projets au récent, qu’il voudroit préférer. Ce peu de paroles ne fut pas si court que dans ce narré il n’y eut beaucoup de choses rebattues, après lesquelles M. le Duc me déclara nettement que de cela dépendoit son attachement à M. le duc d’Orléans, ou de ne faire pas un pas ni pour ni contre lui. Contre, parce qu’il en étoit incapable ; pour, parce qu’il le deviendroit par ce dernier