Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 16.djvu/327

Cette page n’a pas encore été corrigée

M. le duc d’Orléans se fie à vous ? Vous aurez alors jambe deçà, jambe delà ; vous serez, ou tout au moins vous passerez, à très juste titre, pour le bureau d’adresse de tout homme considérable qui, sans se montrer, voudra traiter avec l’Espagne ; non seulement vous, mais vos domestiques principaux, et à votre insu, si l’on veut ; et avec une telle épine, et si prégnante [1] pour M. le duc d’Orléans, vous voulez qu’il vous sacrifie les bâtards pour se lier intimement avec vous. Monsieur, pensez-y bien, ajoutai-je, je vous prends à mon tour par vos propres paroles sur M. du Maine. Le feriez-vous à la place de M. le duc d’Orléans, et vous rendriez-vous, de gaieté de cœur, les bâtards irréconciliables pour ne pouvoir jamais compter sur les princes du sang ? Monsieur, encore une fois, pensez-y bien, ajoutai-je d’un ton ferme : à tout le moins si faut-il l’un ou l’autre, et non pas se mettre follement, comme l’on dit, le cul entre deux selles, à terre. »

M. le Duc le sentit bien, et revint à me jeter tous les doutes qu’il put sur ces établissements : moi, toujours à lui demander s’il en vouloit répondre ; enfin je lui déclarai qu’il falloit de la netteté en de telles affaires, et savoir qui on auroit pour ami ou pour ennemi. Là-dessus, il me dit qu’avec un établissement son frère reviendroit. « Hé bien ! repris-je, voilà donc l’enclouure, et je n’avois pas tort de vous presser ; mais au moins ne faut-il pas demander l’impossible. Où sont les établissements présents pour M. de Charolois ? » M. le Duc se mit à déplorer les survivances et les brevets de retenue qui, véritablement, ne le pouvoient être assez ; mais ce n’en étoit pas là le temps. Je proposai l’engagement du premier gouvernement, et enfin de donner une récompense de l’Ile-de-France au duc d’Estrées, lequel ne valoit ni l’un ni l’autre, et de donner ce gouvernement à M. de Charolois. M. le Duc n’y eut pas de goût. Alors je lui citai le Poitou, donné à M. le prince de Conti, et que M. de Charolois

  1. On a déjà vu ce mot employé par Saint-Simon dans le sens de piquant.