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de sauver M. du Maine, par tous les inconvénients que je craignois de l’attaquer ; je dis à M. le Duc qu’il falloit donc pousser la confiance à bout, et qu’il me pardonnât un détail de sa famille où j’allois nécessairement entrer. Après cette préface, qui fut reçue avec toute la politesse d’un homme qui veut plaire et gagner, je lui dis : « Monsieur, puisque vous me le permettez, expliquez-vous donc en deux mots sur M. votre frère.

« A la conduite qu’il tient par ses voyages, sa marche incertaine, et par les bruits qui se répandent, où en sommes-nous à cet égard ? — Monsieur, me répondit M. le Duc, je n’en sais rien moi-même. Mon frère est un étourdi et un enfant qui prend son parti, l’exécute, puis le mande voilà ce que c’est. — Et moi, monsieur, lui répondis-je, je trouve que ne savoir où vous en êtes, c’est en savoir beaucoup, car je n’aurai jamais assez mauvaise opinion de M. le comte de Charolois pour le croire capable de prendre un si grand parti sans vous et sans Mme la Duchesse ; elle est la mère commune. Tous, quoique fort jeune, vous avez plusieurs années plus que lui, et par toutes sortes de règles, vous lui devez tenir lieu de père : éclaircissez-moi ce point, car il est capital. » À cela, pour réponse, M. le Duc prend sur sa table une lettre de ce prince qui lui marquoit, en quatre lignes, sa route pour Gênes, et c’étoit tout. Il me la lut, puis me pressa de la lire moi-même, protestant qu’il n’en savoit pas davantage. Néanmoins, pressé par moi, il lui échappa que son frère n’avoit aucun établissement, et que, s’il en trouvoit un en Espagne, comme on le débitoit, il ne trouveroit point qu’un cadet ; sans bien et sans établissement, fît mal de le prendre. « Fort bien, monsieur, lui répartis-je vivement ; ce cadet a soixante mille livres de pension, n’est-ce rien à son âge pour vivre dans l’hôtel de Condé et à Chantilly avec vous, où il est décemment et avec tous les plaisirs, sans dépense ? Mais quand il sera vice-roi de Catalogne, le voilà au roi d’Espagne. Comment vous plaît-il après cela que