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que je voyois bien que celui-ci n’étoit pas pour en faire de même. Je lui fis sentir de quel prix l’éducation du roi étoit à M. du Maine, conséquemment quel coup pour lui que de vouloir y toucher ; quelle puissance il avoit en gouvernements et en charges pour la disputer, du moins pour brouiller l’État ; quelle force lui pouvoit être ajoutée par le parlement frappé du même coup pour leurs intrigues communes et leurs menées ; quelle autorité la réputation encore plus que les établissements du comte de Toulouse apporteroit à ce parti ; que rien n’étoit plus à craindre, conséquemment plus à éviter qu’une guerre civile, dont le chemin le plus prompt seroit d’attaquer M. du Maine.

M. le Duc m’écouta fort attentivement, et me répondit que pour lui il croyoit que l’attaquer étoit le seul remède contre la guerre civile. Je le priai de m’expliquer cette proposition si contradictoire à la mienne, et de me dire auparavant avec franchise ce qu’il pensoit de la guerre civile dans la situation où le royaume se trouvoit ; il m’avoua que ce seroit sa perte. Mais plein de son idée, il revint à ce que je lui avois avoué qu’il étoit utile d’ôter le roi des mains de M. du Maine ; que cela posé, il falloit voir s’il y avoit espérance certaine de le faire dans un autre temps, et de le faire alors avec moins de danger ; que plus on laisseroit le duc du Maine auprès du roi, plus le roi s’accoutumeroit à lui, et qu’on trouveroit dans le roi un obstacle, qui par son âge n’existoit pas encore ; que plus M. du Maine avoit gagné de terrain depuis la régence par la seule considération de l’éducation qui le faisoit regarder comme le maître de l’État à la majorité, plus il en gagneroit de nouveau à mesure que le roi avanceroit en âge, plus il seroit difficile et dangereux de l’attaquer ; que son frère sûrement ne remueroit point par probité et par nature ; qu’à la vérité la complication du parlement étoit une chose fâcheuse, mais que c’étoit un mauvais pas à sauter ; qu’il me parleroit sur M. le duc d’Orléans, non comme à son ami intime, mais comme à un fort honnête