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lit de justice, il ne se pouvoit ôter que dans un autre lit de justice. Je contestai un peu, mais il trancha court en me disant que telle étoit l’opinion du régent, et l’opinion arrêtée, qu’il le lui avoit dit ainsi, sur quoi il étoit question de se servir de l’occasion naturelle de celui qu’on alloit tenir, d’autant qu’elle ne reviendroit pas sitôt, et qu’il vouloit savoir ce que je pensois là-dessus.

Je battis un peu la campagne ; mais je fus incontinent ramené par des politesses de M. le Duc sur la confiance, et par une prière précise d’examiner présentement avec lui, s’il n’étoit pas bon d’ôter le roi d’entre les mains de M. du Maine par rapport à l’État et à l’intérêt même de M. le duc d’Orléans, et supposé que cela fût, s’il ne valoit pas mieux le faire plus tôt que plus tard, et ne se pas commettre aux irrésolutions du régent, au prétexte de la nécessité d’un autre lit de justice, aux longueurs de le déterminer. Il fallut donc entrer tout de bon en lice. J’avoue que plus j’avois réfléchi à ce qui regardoit le duc du Maine, et moins je croyois de sagesse à l’entreprendre. J’étois en garde infiniment contre mon inclination là-dessus, et peut-être que la rigueur que je m’y tenois m’en grossissoit les inconvénients. J’avois horreur de tremper dans les suites funestes à l’État d’une chose quoique juste en elle-même par des intérêts particuliers, et plus cet intérêt m’étoit cher et sensible, plus aussi je m’en détournois avec force pour ne rien faire qu’en homme de bien. Je ne m’amusai donc plus au verbiage, pressé comme je l’étois. Je répondis nettement à M. le Duc que les deux points qu’il me proposoit à discuter étoient infiniment différents ; qu’aucun esprit impartial et raisonnable ne pouvoit nier qu’il ne fût expédient à l’État, au roi, au régent, d’ôter l’éducation à M. du Maine, mais que j’estimois qu’il n’y en avoit aucun aussi qui n’en considérât la démarche comme infiniment dangereuse. De là je lui détaillai avec beaucoup d’étendue ce que je n’en avois dit qu’en raccourci à M. le duc d’Orléans, parce qu’il s’étoit rendu d’abord, et